« Au lieu d’entendre parler de Nuit Debout venez à Nuit Debout pour y parler »

Publié le 20/10/2016

Aude Pételot, groupe de Poitiers et Comité de rédaction

C’est vendredi, 19h50, il est grand temps de rejoindre Nuit Debout. Direction la place du marché, tout contre les Halles de Niort, en plein centre-ville. Le lieu de rassemblement a été débattu plusieurs fois – pour que le mouvement soit visible et accessible sans gêner le voisinage, pour faciliter la participation de gens des « quartiers » un peu éloignés qui ne viennent pas facilement au centre-ville le soir…


« Au lieu de rester isolé venez à Nuit Debout pour sympathiser ! »
A cette heure-là ne sont encore rassemblés qu’une vingtaine de citoyens, d’à peu près tous les âges à partir du lycée, occupés à installer, discuter, manger un peu, observer, raconter, afficher, rigoler.
À Niort la fréquence des rassemblements Nuit Debout a été soumise au vote suite au constat d’une participation bien affaiblie dès la deuxième soirée. Dans cette petite ville de 60 000 habitants, il a été décidé de ne se rassembler qu’une seule soirée par semaine, le vendredi. A 20h initialement – désormais à 18h, pour faciliter le passage des familles, la rencontre avec ceux qui quittent leur travail ou terminent leurs achats, ou qui profitent des terrasses des cafés voisins – et partager un morceau de repas.

En plus des questions quant à la finalité du rassemblement, s’est posée dès le début celle de la pérennisation. Comment faire pour que le mouvement naissant ne repose pas sur quelques-uns, qu’il dure sans « organisateurs » fixes ? Dès les premiers jours l’idée de créer des commissions à été avancée (communication, restauration, animation, etc.) mais c’était trop tôt, l’idée n’a pas vraiment pris racine. Quelques-uns, des fidèles, viennent avec qui une table, qui quelques verres, une bougie, un drap-banderole peint Nuit Debout… affiches, textes à partager, thermos, salades de riz, fruits et autres grignotages, tracts de manifestations diverses, graines non-OGM, invendus de marché, idées, projets… arrivent de façon éparse et spontanée, un peu au petit bonheur.
Tiens ! ce soir on a les paroles d’une chanson Nuit Debout… un téléphone portable connecté à You Tube en mode karaoké, et c’est parti pour un échauffement mélodique et convivial.

20h30 : on « commence ». Avec un rappel de quelques règles de base, s’il en était besoin :
. le mouvement s’inscrit dans une démarche de respect de tous et dans le but de créer une vraie Démocratie
. Celui qui dit, il fait ! on propose implique qu’on s’implique
. On écoute, on n’est pas obligé de parler – mais on est invité à s’exprimer
. On exprime par gestes l’approbation, le désaccord, l’impression de dilution ou de répétition, la nécessité de décider par vote… selon des « codes » partagés et rappelés par l’assemblée.
Puis vient la synthèse commentée des actions de la semaine écoulée :
Des micros-trottoirs à la rencontre des habitants du quartier du Clou Bouchet (l’un de ceux où les logements sociaux ont la part la plus belle). Des campagnes de distribution de tracts au milieu des embouteillages, pour promouvoir l’action citoyenne, inviter aux rassemblements Nuits Debout. Des petites plantations, pour multiplier des pousses inattendues dans l’espace public. Un « stand Vide-Sac » sur des places de parking au bord d’une avenue, « stationnant » à pied avec chaises et tables pour inviter les passants à partager leurs points de vue, leurs états d’âme ou leurs coups de gueule quant à la situation ambiante…

Que poursuit-on cette semaine ? Qui est intéressé ? Au même endroit ? On fait tourner le bloc-notes pour prendre les coordonnées des nouveaux(-elles) motivé(e)s à se tenir informé(e)s.

A ses débuts, le rassemblement a pu atteindre 250 personnes ; désormais 70-80 semble un horizon raisonnable. D’après l’observation du moins, se rencontrent à ces Nuits Debout des retraités, des lycéens et de jeunes étudiants (Niort n’a pratiquement pas d’enseignement supérieur), quelques jeunes adultes, des quinquagénaires et plus (la tranche d’âge 30-45 ans n’est pas la plus représentée)… selon le vendredi les têtes changent, les parcours n’apparaissent pas identiques ; ce soir-là on semble plutôt entre gens terre-à-terre, désireux de partage simple et d’action concrète. Parmi les assidus se retrouvent des employés, des travailleurs du milieu de la santé, de l’éducation, parfois de la culture, du monde agricole, quelques entrepreneurs.

« Nuit Debout pour ne plus m’indigner sur mon canapé ! »
La discussion collective se poursuit sous forme de contributions libres, de constats ou d’indignations, de témoignages, réactions, propositions d’initiatives ou d’actions conjointes…
Dans un calme teinté de curiosité, de détermination ou d’ébullition impatiente, l’assemblée écoute. Chacun intervient à son tour, s’exprime, sans nécessairement rebondir ou suivre l’idée lancée précédemment. Même lorsqu’une prise de parole se prolonge un peu, il est rare qu’elle soit interrompue avec vigueur – pas même par signes : l’assemblée est polie et prend soin de ne pas malmener quiconque.
Les sujets s’enchaînent. Certains reviennent très régulièrement : l’incurie des banques, des patrons ou des politiques ; le défaut ou l’absence de démocratie, et ce qu’on peut faire pour participer vraiment ou ébranler le système et déranger ces « grands », assis sur leurs intérêts, qui se moquent éperdument des citoyens ; le rejet radical ou non de la violence ; l’alimentation et la consommation locales, les fragilités et les invisibilités… Certains tiennent des discours de refus radicaux, très anti-système et anti-pouvoir – voire anti-organisation – refusant toute structuration, très anti-mondialisation. D’autres revendiquent d’être « dans le système » et devoir faire en partant de là, sous peine de marginalisation du mouvement.
Entrecoupés régulièrement d’apostrophes indignées :
– « Être entre nous, c’est confortable, on peu discuter et même tomber facilement d’accord ! mais on ne peut pas rester comme ça ! Comment faire pour atteindre les « autres », ceux qui ne pensent pas pareil ? pour qu’ils s’expriment et participent eux aussi ? »
– « On parle, on parle, mais qu’est-ce qu’on fait ? Quand est-ce qu’on agit ? »

Pour certains cela semble être la raison d’être de Nuit Debout : on est là pour dénoncer ce qui ne va pas dans la société, ou pour rêver ensemble, agir ensemble. Pour apprendre à se parler, s’informer, faire « converger les luttes ». Les rencontres et les prises de paroles répétées doivent-elles en définitive « produire quelque chose » ? Nul ne sait s’il s’agit de découvrir ses concitoyens, de tenir bon jusqu’au retrait de la « loi Travail », de construire du « vivre ensemble », de faire germer les idées en multiples actions conjuguées ou en un mouvement social ample dont l’énergie serait telle qu’il pourrait tout transformer pour renouveler la Démocratie…

On en est désormais à la 8ème rencontre ; les déclarations vibrantes et les redites s’estompent : avec la série d’actions en cours, si élémentaires qu’elles soient, on est entré dans une phase nouvelle. D’autres idées n’ont pas encore été concrétisées. Et puis, bien sûr, que peut-on faire pour « aller plus loin » : faut-il s’abstenir massivement ? Se constituer en parti politique ? Je glisse la notion de primaires citoyennes ; il faudra mettre les liens et les explications sur le blog.
On décide ce soir-là de constituer une commission Art Debout et une autre qui se chargerait de proposer des documents audio et des textes à diffuser en début d’assemblée dans un esprit d’éducation populaire.
Aucun projet de réflexion d’ensemble, de construction collective d’idées plus conceptuelle et articulée, sur la société actuelle à tous ses niveaux imbriqués, n’est évoqué. Pas inscrit non plus dans le cahier qui circule pour ceux qui hésitent à prendre directement la parole, et qui est lu collectivement à intervalles réguliers… Personne non plus n’est allé en parler debout face à cette assemblée étrange et bienveillante réunie en cercle où l’on remue les bras, aux plus anciens qui en ont vu d’autres, aux plus jeunes avides de retournements, aux révoltés en mal d’action. N’est-ce pas le lieu adéquat ? ou seulement pas encore le moment ?

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