Happiness : le revers de la médaille

Publié le 05/11/2010

Par Odile Boutemy, Groupe de Toulouse

Il était une fois, dans un petit village de brousse, au fin fond de la région de Galawi en Afrique, une petite fille de 7 ans qui s’appelait Happiness. Elle avait un petit minois tout à fait charmant mais son regard démentait la promesse faite par son joli prénom. Happiness, dont nous faisons aujourd’hui connaissance, n’avait, pour l’instant, guère de raisons de nager dans le bonheur promis. Mais voilà que la baguette magique de la « fée-marraine » venait de frapper à son logis…


Tout a commencé pas un joyeux dîner : un soir, une tonnelle fleurie, un couple d’amis très chers (mais pas vus depuis bien longtemps). Un Dominique passionné par son très nouvel engagement professionnel : directeur de l’ONG : « une nouvelle Espérance pour l’Enfance ». De longues explications enthousiastes au bout desquelles nous découvrons un projet novateur. Objectif : aider des enfants de familles extrêmement démunies touchées par le paludisme et le sida, autrement que par une assistance téléguidée de chez nous.

Modalités : construire un véritable partenariat (décisions concertées) entre 2 associations (toutes deux encore à créer), l’une en France, rassemblant des parrains-financeurs, l’autre au Galawi, réunissant les familles d’un ensemble de villages de la région.

Le responsable du projet déjà sur place en Afrique, François, est un ancien militant du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente), tout pour nous convaincre. Quand Dominique nous dit qu’il cherche des parrains, notre réponse n’est pas : « OK pour te faire plaisir » mais « OUI parce que ton projet nous convient tout à fait ».

Et voilà, c’est parti pour l’aventure. Nous découvrons, très émus, par dossier interposé, Happiness, notre petite filleule.

Quelques mois plus tard convocation à l’assemblée générale des parrains : y participer est pour nous une évidence, même si c’est à Paris. Bon signe ! Il y a du monde, simplement… Dominique n’en est pas. François, le responsable sur place, fait un exposé brillant et convaincant. Quel orateur pour promouvoir la qualité de la démarche entreprise, responsabilisant notables locaux et familles ! Voici maintenant venu le temps de faire surgir des vocations : président, vice-président, trésorier, secrétaire… pour animer l’association française Le temps du repas y suffira. Nous sommes (par hasard ?) placés à la table du président pressenti, un Alsacien, arborant une superbe moustache, qui mène déjà dans sa région des actions de recueil de dons. Il y a aussi un copain à lui, un imprimeur qui sait déjà presque tout sur tout, et une dame, avec des yeux superbes, amie de François qui connaît aussi Dominique. A notre questionnement, elle nous informe de la démission de ce dernier. Ah bon ! Pourquoi ? Elle n’en sait rien.

Ce petit monde est bien sympathique, le vin généreux, la cuisine délicieuse. Aussi lorsque le président pressenti à la fin du repas nous demande si nous ne voulons pas prendre les charges de trésorier et secrétaire, ma foi nous disons oui, d’autant que le siège prévu sera près de chez nous. L’amie de François et l’imprimeur acceptent une vice-présidence.

L’aventure est plus aventureuse que prévu mais, en préretraite, autant se mettre efficacement au service des belles causes !

Quelques semaines plus tard : réunion de CA organisée sur le territoire du président, en Alsace. Le vice-président adore conduire, y compris la nuit, nous ferons le voyage avec lui. Un peu vantard et baratineur, pas trop le genre qu’on apprécie mais chacun ses goûts. Réunion sérieuse avec divers points à l’ordre du jour : création d’un ensemble de plaquettes destinées à recruter de nouveaux parrains (tâche confiée à l’imprimeur), recrutement à mi-temps d’une secrétaire-animatrice en complément de la comptable déjà en place (la tâche m’est confiée), achat d’un nouvel ordinateur (le trésorier s’en charge).

Après le travail, la détente dans un bon restaurant du coin. La facture ? Le président propose que l’association la prenne en charge. Ah bon ! On se croirait au CA d’une grande entreprise sauf que les payeurs ici ce ne sont pas des clients mais de généreux donateurs. On trouve que… Alors on propose que chacun paye.

L’imprimeur imprime sans commande précise. Quelques jours plus tard, livraison de superbes plaquettes, peut-être même un peu trop superbes… Et ça coûte combien ? Le trésorier encaisse le choc d’une facture d’une hauteur inattendue. C’est vrai, dit l’imprimeur, mais il y a en prime et cadeau, des cartes de visite au nom de chacun des responsables. Ah bon ? Ça va servir à quoi ? Est-ce qu’un seul modèle de carte au nom de l’association n’aurait pas suffi ? Non, non le président contacté par téléphone trouve que c’est très bien ainsi…

A moi d’assumer le mandat qui m’a été confié par le CA. Je reçois plusieurs candidats dont une personne recommandée par un bénévole.

Elle a le profil du poste et ma préférence. Dans les jours qui suivent, la comptable me fait passer les annonces parues dans la Dépêche du Midi. Il y a une offre pour un poste à temps plein au nom de l’association. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Conversation téléphonique orageuse avec le président. Le vice-président (l’imprimeur) et lui ont pris cette initiative, et estiment qu’un poste à plein temps est nécessaire, et qu’un président qui préside n’a pas de comptes à rendre sur ses décisions… Ah bon ! Mais à quoi ça sert un CA ?

Là-bas en Afrique, ils sont peu préoccupés par le bon fonctionnement de l’association française. Ce dont ils ont besoin de manière urgente, c’est de sous et donc de parrains. Alors, on tergiverse, ce sera tout de même un poste à mi-temps (finances obligent) mais sélectionné par le président lui-même.

Côté informatique, l’équipe manque de compétences. Qu’à cela ne tienne, le vice-président propose un stage pour son fils encore bien jeune (16 ans) mais, paraît-il, féru dans le domaine. Pourquoi pas ? Nous logerons gracieusement le stagiaire et, pour son indemnité, le trésorier fait une proposition acceptée sans commentaires. Le stage se déroule, plutôt pas très bien, le jeune installe des gadgets que les utilisateurs trouvent plutôt inutiles et qui n’améliorent guère les points durs. Au moment de payer, protestation de la part du vice-président, qui exige pour son fils un SMIC. Le président acquiesce.

Déception ! Ce fonctionnement ne nous convient décidément pas du tout. Ruée dans les brancards par fax musclés, avec l’appui de la vice-présidente. Le président et l’imprimeur (nous découvrons que ce dernier n’est même pas membre de l’association) ne résistent pas longtemps et démissionnent. Ouf ! La vice-présidente aux yeux superbes accepte la place. D’autres membres rejoignent un CA qui se met enfin à fonctionner avec intelligence et démocratie.

Qu’en est-il de l’association là-bas, à Galawi et quelles sont les conditions de vie de notre petite Happiness ? Impossible de résister à une telle curiosité, il faut aller voir sur place !

Ah l’Afrique ! Ses enfants qui courent partout, ses femmes tout en couleurs, ses villes comme de grands villages où on oublie le délabrement des baraques parce que ça crie, ça rit, ça chante… Pauvreté mais pas tristesse ! Découverte, saisissement !

L’association Karibu est implantée sur une butte qui domine la ville et d’où la vue est superbe. Plusieurs bâtiments : une maison où résident François …/…et sa famille, une autre pour dépister et accueillir les enfants malades (qui sont bien mieux là qu’à l’hôpital où on meurt beaucoup), un vaste hangar où parquent quelques gros 4×4 (seul moyen adapté aux pistes boueuses et défoncées).

Le lendemain de notre arrivée, visite des villages qu’aide l’association. C’est là que nous découvrons Happiness et son lieu de vie : maison en torchis avec une seule pièce. Au sol de l’herbe séchée pour isoler de la terre, dans un coin des nattes repliées qui servent pour la nuit. La cuisine est à l’extérieur, simple abri avec un foyer au sol et quelques ustensiles sur des planches. C’est la grand-mère qui gère la maisonnée. Il n’y a plus ni père, ni mère, ils sont morts. La petite est impressionnée de voir ces drôles de « Blancs » et nous, impressionnés de découvrir cette fragile petite fille. Nous avons apporté un cadeau, son regard s’éclaircit, elle sourit. La grand-mère veut nous faire un cadeau elle aussi, une poule. Avec diplomatie (en français bien sûr !) et mimiques explicatives, nous refusons.

Le CA de Karibu est convoqué au soir du troisième jour. Beaucoup de notables, tout le personnel de l’association mais pas de simples parents. Dommage, on croyait que… Le président préside avec tant d’autorité et de brio que personne n’ose poser de questions ou émettre un avis. Pourtant, l’enjeu est de taille : il s’agit de construire une belle et bonne école pour les enfants scolairement brillants de Karibu mais aussi pour les enfants (brillants ou pas) des familles suffisamment riches de la ville pour payer une inscription. Ah bon ! Est-ce bien dans la mission de l’association ? Pourquoi ne pas financer la scolarité de ces enfants brillants dans les structures proposées par le pays ? Ne vaudrait-il pas mieux utiliser l’argent disponible pour accroître l’accueil des enfants malades ou outiller un peu mieux les paysannes qui travaillent dans leurs champs à mains nues ou élargir l’action en cours à d’autres villages… ? Il semble que nous n’entendions pas grand-chose à l’Afrique. Les relations y sont très complexes et si on veut s’y faire respecter, il faut du prestige. Avec un tel projet, le directeur du programme va certes en acquérir de plus en plus.

Et nous, de convictions, de moins en moins. Au fil des années, d’autres incompréhensions vont apparaître entre les deux structures, notamment en ce qui concerne le futur d’un tel programme : doit-il vivre continuellement sous « perfusion des dons » ou devenir autonome ? Les stratégies divergent et finalement nous démissionnons, sans abandonner notre soutien à Happiness.

Question que nous n’avons pas posée avec assez d’insistance : pourquoi Dominique a-t-il démissionné ?

Questions à se poser toujours : qui prend les décisions, qui exerce le pouvoir, qui est au service de qui, qui tire profit du projet ? Les pratiques correspondent-elles aux statuts ?

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