Pas de moi sans toit

Publié le 05/11/2010

Interview de Patrick Hébrard, Ancien membre de LVN à Toulouse par Yvonne Toussaint


Citoyens : Tu es président de l’Union Chrétienne de Jeunes Gens Robert Monnier à Toulouse. Tu nous présentes succinctement l’association ?

C’est une association de jeunesse œcuménique d’inspiration protestante et de fonctionnement laïque pour une société équitable. Elle est l’une des 22 unités qui en France composent l’UCJG-YMCA (Young Men’s Christian Association) Alliance Nationale, elle-même membre d’un réseau international existant depuis plus de 150 ans avec 12 000 associations présentes dans plus d’une centaine de pays.

Elle a pour objet l’accueil, l’insertion sociale et professionnelle de personnes fragiles, ou fragilisées, personnes en rupture de logement, réfugiés et demandeurs d’asile.

Elle met en œuvre une pédagogie qui vise à l’autonomie des personnes, leur épanouissement, l’apprentissage de la liberté, de la responsabilité et du service. Elle se fonde sur les valeurs de responsabilité, solidarité, tolérance et respect de l’autre.

Cit. : Quelle est ta motivation ?

C’est un peu une histoire de famille ! Je connaissais depuis longtemps cette association, le mari d’une cousine en ayant été directeur. Lors de la catastrophe AZF de septembre 2001 qui a détruit une grande partie des locaux, j’ai fait un don important, ce fut un déclencheur. J’ai été sollicité comme administrateur, puis vice-président et ai accepté le poste de président au moment de ma retraite.

Cit : Qu’y trouves-tu ?

C’est d’abord une activité bénévole, compatible avec mes espaces de liberté. J’y retrouve l’aspect d’animation et de responsabilité de structure que j’avais dans ma vie professionnelle, et j’essaie de me servir de l’expérience acquise.

La nouveauté est que je côtoie maintenant des personnes nettement moins privilégiées. Ils sont à la fois mes semblables et différents. Je ne me sens en rien supérieur à eux, je reçois comme un cadeau ce qu’ils me rendent. La vie elle-même est cadeau. Étant croyant, je le nomme Dieu.

J’ajoute que cela force l’humilité de rencontrer des gens malmenés par la vie, de se confronter à leurs handicaps. C’est un rappel concret de la fragilité humaine.

Cit. : Quels sont vos champs d’action?

Ils se résument en deux mots : accueillir et accompagner. Offrir un logement et accompagner vers l’autonomie.

Le premier pôle concerne le logement. Le Foyer de Jeunes Travailleurs dispose de plus de 100 places sur la région toulousaine avec, en particulier, le Foyer San Francisco comportant 75 logements individuels, plus des espaces collectifs et une équipe d’animation socio-éducative. Il s’agit de faire émerger des projets personnels et collectifs. Le Foyer Soleil est constitué de logements indépendants pour des jeunes en cours d’insertion professionnelle, déjà en route vers l’autonomie mais ayant encore besoin d’un accompagnement social individualisé. Les logements d’urgence accueillent des familles en rupture, après entretien individuel et acceptation de notre charte, toujours avec accompagnement social. Le service Point Logement accompagne des personnes et familles dans la recherche et le maintien en logements autonomes.

Le second pôle, celui des réfugiés/migrants, a été créé dans les années 1970, à partir de l’arrivée des boat people. Il comprend aujourd’hui le Centre Provisoire d’Hébergement, une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social) pour des mineurs étrangers isolés, éventuellement demandeurs d’asile, et un CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile).

Enfin, nous avons mis en place au début des années 1990 le pôle emploi et insertion professionnelle pour des publics subissant des discriminations à l’embauche et dans l’emploi.

Cit. : Vaste programme ! Comment parvenez-vous à trouver le nécessaire équilibre entre les besoins croissants, et les ressources pas forcément extensibles ?

Nous sommes exposés à de fortes contraintes, internes et externes.
Pour prendre en compte les nouveaux besoins liés à l’évolution de la société, au plan national et international, nous avons progressivement élargi nos activités, comptons actuellement 20 bénévoles et 70 salariés.

Nous avons donc des obligations d’employeur responsable, nous ne pouvons pas nous soustraire à un fonctionnement de logique financière et comptable où le quantitatif a malheureusement trop souvent tendance à prendre le pas sur le qualitatif.

Cette logique détermine aussi de plus en plus le mode d’octroi des subventions. Par exemple, dans le champ de l’insertion professionnelle, seuls les moments de rencontres en face à face ouvrent dorénavant droit à subvention. Le risque est de multiplier artificiellement les rendez-vous, au détriment du travail indispensable en amont pour les contacts avec les entreprises, et le suivi.

Pour tenir le cap, il est indispensable d’avoir toujours présente à l’esprit la question de la fidélité à nos valeurs, à notre engagement de base.
Nous avons aussi mis en place différentes commissions où siègent salariés, administrateurs et bénévoles, dont le rôle est d’éclairer les décisions du C.A. Elles ont pour objet le service restauration, la reconstruction du bâtiment détruit en 2001, le site Internet et la réflexion sur les axes de développement garants de l’indépendance financière dans le respect de nos valeurs.

Cit. : En quoi le contexte actuel est-il particulièrement difficile ?

Il s’agit d’abord de trouver des sources de financement pérenne. Comment rester autonome lorsque, par exemple, une collectivité territoriale ne tient pas ses engagements ?

La logique marchande s’impose dorénavant aux associations. Nous devons appliquer la procédure des appels d’offres de marchés publics, ce qui met les associations en situation de concurrence.

Enfin, que ce soit pour le logement, la formation, ou la prise en charge de réfugiés, nous sommes toujours soumis à des contraintes réglementaires fortes, dont la logique diffère de nos propres conceptions.

La situation est particulièrement délicate au niveau du CADA, où le risque de l’utilisation sécuritaire du travail social est réel. Depuis 2009, nous sommes liés par convention avec la Préfecture et non plus avec la DDASS. Nous devons respecter un certain nombre d’obligations, entre autres renseigner une base de données consultable par les autorités. La menace de restreindre ou supprimer des subventions déjà chiches, ou de se voir retirer l’habilitation, est à prendre en considération.

En outre, où trouver les ressources pour améliorer le sort des déboutés du droit d’asile ?

Cit. : Et quels sont vos atouts ?

Je citerai en premier lieu la qualité des personnes engagées, salariés et bénévoles. Ce sont souvent aussi des militants qui font preuve d’ingéniosité et d’une grande responsabilité. Je rencontre personnellement toutes les personnes que nous embauchons, quel que soit le type et la durée du contrat, et le type de poste. Je leur présente l’association dans sa globalité, en mentionnant sa démarche d’inspiration chrétienne.

Nous nous efforçons aussi de fonctionner de manière transparente. Le passage progressif à 70 salariés a nécessité une remise à plat de l’organigramme, une clarification des fonctions, des rôles. Une charte précise quelles sont les délégations accordées, un document de contractualisation engage le délégataire et le délégué.

Cette exigence de transparence assortie d’un sens de l’écoute et du dialogue, est une des clés du respect mutuel. Elle est la base d’un bon climat social. Lorsque par exemple l’an dernier, nous avons dû nous résoudre à licencier trois personnes du fait de la réduction de subventions, j’ai vivement apprécié que la décision ait été acceptée, j’ose dire dans la sérénité.

Pour réduire les dépenses sans diminuer les services, nous explorons les voies possibles de mutualisation et de complémentarité avec d’autres associations implantées dans le quartier ou dans les mêmes secteurs, et les deux autres centres UCJG/YMCA de la région toulousaine. Nous ne pouvons nous permettre une concurrence stérile !
Enfin, notre bilan fait état de résultats régulièrement reconnus comme probants. Ainsi, au niveau de l’insertion professionnelle, 75% des 1 000 à 1 500 personnes accompagnées annuellement obtiennent un contrat et l’honorent dans la durée (50% sont dans un emploi durable en CDI ou CDD de plus de 6 mois).

Cit. : Comment envisages-tu l’avenir de l’association ?

L’accompagnement devient de plus en plus difficile avec un risque de déshumanisation des actions suite aux récentes évolutions.
Mais il faut se tourner résolument vers l’avenir et y voir aussi une occasion à saisir pour nous remettre en question, nous redire quelles sont nos priorités, nos fondamentaux et trouver les moyens de poursuivre nos actions de fond tout en restant fidèles aux valeurs de responsabilité, tolérance et solidarité qui constituent la charpente de notre Projet Associatif.

Le militantisme associatif est vigilant et se réaffirme encore une fois avec une forte cohésion entre salariés, bénévoles et administrateurs.

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