Engagement associatif ou politique

Publié le 05/11/2010

Par Jean-Claude Boutemy, Comité de rédaction

La richesse du tissu associatif français est indéniable qui, dans le cadre de la loi de 1901, trouve à y exprimer à la fois la diversité des situations locales ou ponctuelles et aussi une certaine créativité démocratique. C’est une évidence pour le Comité de rédaction qui a mitonné ce dossier de Citoyens. Pourtant cette vitalité foisonnante associative contraste avec une certaine faiblesse, voire une morbidité de l’engagement politique. Cette situation interroge notre vocation « personnaliste » à l’engagement. C’est l’objet de ces quelques réflexions.


Au-delà du secteur de l’animation festive, culturelle ou sportive, bon nombre d’associations voient le jour pour des motifs très divers : la défense de personnes, d’intérêts ou de situations, ponctuelles ou durables, ou bien elles rendent des services à caractère social (éducation, santé, protection, humanitaire…), avec ou sans le soutien de l’État, ou des collectivités territoriales. C’est le domaine de l’initiative citoyenne, qui donne un sens bien visible, capable de mobiliser les gens sur des actions concrètes et d’entraîner des solidarités et des réactions relativement rapides et efficaces. Que les bonnes volontés se manifestent dans l’urgence, en cas de catastrophes, ou de carence manifeste de l’organisation sociale ! Quoi de plus naturel, de plus réconfortant pour tous les humanistes. On ne peut que se réjouir que cela existe et fonctionne, il faut bien parer au plus pressé, la détresse n’attend pas.

Qui ordonne les priorités ?

Les catastrophes ne sont pas toutes imputables à la nature, tant s’en faut. Si les volcans vivent leur vie, au gré des plaques tectoniques baladeuses, les puits de pétrole sont, en principe, sous contrôle de techniciens. Les tempêtes et raz de marée ont existé de tous temps, mais la construction en zones inondables est sous responsabilité humaine. Que dire alors de la misère, de la guerre, de l’exploitation,… et autres calamités bien humaines celles-là. L’urgence et la compassion sont une chose, l’identification des racines structurelles et des causes politiques en est une autre. La soupe populaire une nécessité, l’exclusion sociale un scandale. Un jour viendra peut-être, où les crédits de nos impôts iront naturellement à la recherche médicale et où des quêtes publiques et autres campagnes d’appels aux dons seront organisées pour l’armement nucléaire, par exemple. La définition des priorités est la responsabilité majeure des gouvernements, c’est une question essentiellement politique, au sens noble du terme.
Or sommes-nous sous une dictature ? Pas que je sache. Les institutions, les outils de la vie politique démocratique sont en place, avec leurs avantages et leurs défauts. La démocratie parlementaire représentative n’est pas idéale, qui éloigne le citoyen des décisions concrètes (mais peut-on décider de tout ?), mais elle existe. Les représentants sont élus régulièrement (plus ou moins bien selon que les citoyens daignent se déplacer). Les élus siègent dans des instances délibératives, les points de vue diffèrent, les arguments s’opposent, quoi de plus normal ? Au final, après débat, il faut trancher : le vote selon une procédure démocratique, fige une décision collective.

Où donc s’élaborent les programmes ?

Où donc s’élaborent les programmes et les alternatives ? Essentiellement dans les partis politiques, qui sont des associations un peu particulières, où l’on peut s’informer, se former, réfléchir, débattre, proposer des candidats, donner son avis. Est-ce que tout cela prend du temps ? Evidemment bien sûr, on n’a rien sans rien, c’est un choix, individuel cette fois. Est-ce qu’on perd sa liberté (de pensée, de parole) en entrant dans un parti ? C’est une légende tenace et souvent une mauvaise excuse, nous ne sommes plus au temps de Staline. Notre personnalité n’a pas à se fondre dans un unanimisme obligé, une doctrine totalisante, nous gardons notre singularité entière, en accord sur l’essentiel, minoritaire sur d’autres points, qui seront majoritaires un jour, les idées évoluent heureusement avec le temps, dans un processus dynamique et vivant. L’engagement est d’ailleurs à géométrie variable, complètement personnalisé, selon ses envies, ses disponibilités, pas de standard. On n’est pas obligé de se prendre au sérieux, de devenir héros ou vedette. On a juste l’occasion de contribuer modestement, à notre mesure, à agir sur le monde, si cela a un sens pour nous.

Partis politiques : le désamour

En France, il semble que l’on détienne une sorte de record européen sur la faiblesse de participation aux institutions à la fois syndicales et politiques. Les syndicats et les partis n’ont pas la cote. Pourtant quoi de plus logique que d’œuvrer collectivement à améliorer les conditions de travail, à réduire l’exploitation. Seule l’union fait la force, et les rapports sociaux sont loin d’être tendres. Les « jeunes », dit-on, préféreraient les « coordinations » plus ou moins spontanées lors de conflits. Comme les matchs sportifs, les luttes sociales ne sont pas gagnées d’avance : il faut chaque fois faire preuve d’imagination, d’intelligence collective et de tactique, mais pourquoi se priver de l’expérience des conflits précédents, des négociations passées, de la connaissance du milieu patronal engrangée au fil du temps, de la vision élargie de l’organisation syndicale ? Réciproquement, la force des syndicats dépend directement du nombre d’adhérents et des votes aux élections professionnelles, pourquoi priver l’organisation collective pérenne de la force de son soutien ? Les associations syndicales, dont le droit d’exister s’est si chèrement payé par le passé, sont-elles devenues un luxe facultatif, un outil obsolète ? Se sont-elles fossilisées dans leurs pratiques au point qu’elles soient incapables d’évoluer ? Faut-il attendre que le syndicat soit parfait pour y adhérer ? La répression syndicale existe c’est sûr, encore faut-il ne pas l’exagérer, ni lui donner la prime de notre frileuse abstention.

La démocratie n’est pas une sinécure

La réputation des partis politiques n’est pas brillante, fait historiquement lié à des pratiques occultes concernant leur financement, aujourd’hui réglé par la loi qui encadre et permet une transparence des comptes de campagne. De Gaulle fustigeait allègrement les arrangements douteux des partis, liés aux instabilités ministérielles de la Quatrième République, il a donc introduit pour la Cinquième des modes de scrutins extrêmement majoritaires, étouffant du coup toutes les représentations minoritaires. Le retour d’une partie de proportionnelle, longtemps promise, est toujours attendu.
Les hommes politiques quant à eux, ont, c’est vrai, une fâcheuse tendance à s’accrocher au pouvoir, à cumuler les mandats, et à faire du clientélisme, ce qui en conséquence institue des baronnies locales, écarte les femmes et les jeunes de la représentation nationale, et trop rares sont les partis qui appliquent effectivement le non cumul et la parité. Il y a incontestablement des progrès à faire dans ce sens, mais est-ce une raison pour en faire des boucs-émissaires (« tous pourris ») ou les tourner en dérision systématiquement ? Le bébête-show peut-il tenir lieu d’information ?

Le traitement médiatique des sujets politiques, particulièrement à la télévision, me semble peu propice, c’est un euphémisme, à informer correctement et former l’esprit critique des citoyens. De l’intérieur des partis la perspective est radicalement différente, on y trouve des rencontres avec les élus qui rendent compte des difficultés de leur mandat, des commissions thématiques pour élaborer des propositions de programmes à moyen terme, du moins pour les organisations qui ne sont pas rivées sur les préoccupations bassement électorales, le marketing et les sondages.

La démocratie n’est pas une sinécure, il faut avoir le courage de le reconnaître, et Mendès France avait coutume de dire (je cite de mémoire) que « les qualités pour gouverner ne sont pas les mêmes que celles pour se faire élire », amère constat s’il en est. Mounier disait de son côté qu’on ne s’engage qu’en des combats douteux. L’éducation populaire en général, et La Vie Nouvelle en particulier, ont à cœur de valoriser l’engagement citoyen sous toutes ses formes, y compris politiques.

La militance associative peut être une école citoyenne pour des objets précis bien délimités, des laboratoires d’idées, des théâtres d’expérimentation ciblés, comme le montre le film de Coline Serreau Solutions locales pour désordre global.

Mais rien ne remplace pour l’instant l’outil « parti politique » qui articule le savoir-faire sectoriel par thématique, avec la gouvernance réelle à l’échelle globale de la société. C’est ce que sont en train d’apprendre les écologistes qui se sont rassemblés sous la bannière d’Europe Ecologie et tentent d’inventer une forme d’association coopérative fédérant les compétences de terrain de la société civile avec la synthèse de l’écologie politique portée par le parti des Verts.

Entre une militance associative, plus sectorielle, qui nous place en position de défense (un peu comme un avocat), et une militance politique, plus globale, qui impose de choisir (un peu comme un juge), nous nous engageons en fonction de nos sensibilités personnelles. Mais de même qu’une justice digne de ce nom ne saurait se passer ni d’avocats, ni de juges, une société démocratique requiert des citoyens qui s’engagent dans ces deux types de fonctions, pour, comme le dit Romain Rolland « allier le pessimisme de l’intelligence, à l’optimisme de la volonté ».

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