Une situation particulièrement difficile : le lait et l’élevage laitier aujourd’hui et demain

Publié le 01/06/2010

Interview de Claire Hue, Groupe de Caen
Par François Leclercq

Claire est journaliste au mensuel L’éleveur laitier.


CIT : Quelle est la situation des exploitations laitières aujourd’hui ?

On compte aujourd’hui 90 000 exploitations laitières en France. On estime que 3 à 4 % des exploitations disparaissent chaque année du simple fait de la pyramide des âges. Par conséquent les exploitations s’agrandissent.
Si on prend l’exemple du département de la Manche, 2ème département laitier deFrance, en 1984, la moyenne de production des exploitations était de 70 000 litre de lait par an. Elle est aujourd’hui de 280 000 l.
Un autre chiffre significatif : une vache en France produit 6 500 litres par an. Les performances animales via la sélection génétique et les techniques de production se sont améliorées en 30 ans si bien qu’un éleveur seul peut produire aujourd’hui beaucoup plus qu’en 1980.

CIT : Comment la profession envisage-t-elle l’avenir de la production laitière ?

C’est un grand débat aujourd’hui. Jusqu’à présent, la production laitière était le secteur agricole le plus encadré. Sous l’impulsion de la Commission européenne et des pays de l’Europe du Nord qui ont une vision très libérale, l’Union européenne a décidé de libéraliser le marché laitier européen. Les quotas laitiers, qui ont été instaurés en 1984 pour maîtriser les volumes de lait produits, seront supprimés en 2015 (décision des Etats-membres fin 2008).
Une autre décision a été prise en 2003 : les mécanismes de soutien pour réguler le marché laitier (stockage du beurre et de la poudre de lait quand les prix sont vraiment trop bas) sont progressivement détricotés pour arriver à un marché européen et mondial exposé à la simple loi de l’offre et de la demande.
C’est ce qui explique les fluctuations du prix du lait : la forte augmentation du prix du lait en 2007 et 2008 puis sa baisse vertigineuse en 2009. Plus on est dans un système libéral, plus on assiste à des variations de prix.
Les producteurs de lait français ne sont pas préparés à cette nouvelle réalité économique. Leurs coûts de production ramenés au litre de lait sont trop élevés par rapport à l’actuel prix du lait. Dans certains cas, les coûts de production sont même supérieurs au prix du lait. L’effondrement du prix du lait en 2009 a provoqué la grève du lait en septembre dernier, lancée par un nouveau mouvement : l’Association des producteurs de lait indépendants.
Le débat actuel est donc moins celui du bio que celui de se dire : « est-ce que je vais pouvoir continuer à évoluer dans un marché qui est de plus en plus libéral et qui le sera totalement en 2015 quand il n’y aura plus les quotas laitiers ? » La réponse des éleveurs est non. Il faut savoir que, dans un cadre économique stable, la rémunération de leur travail n’est que de 1,5 SMIC par mois en moyenne pour un travail 7 jours sur 7.

CIT : Peut-on dire alors que l’Europe, en libéralisant le marché, a fait le mauvais choix ?

Les producteurs français refusent un marché européen libéralisé. Ils veulent une régulation de la production, c’est-à-dire produire en fonction d’une demande. Par exemple, si on estime que l’an prochain la France a besoin de produire 22 milliards de litres de lait, il faut un système permettant de limiter la production à ce niveau pour éviter l’effondrement des prix. A l’inverse, si la demande est à la hausse, il faut que les agriculteurs puissent y répondre en produisant plus.
Actuellement un producteur français vend son lait 30 centimes le litre, et un producteur allemand 26 centimes. Conséquence : du lait allemand se vend actuellement en France. L’idéal serait une évaluation européenne des besoins en lait. Les producteurs laitiers européens ne se feraient pas concurrence entre eux. Cette évaluation intégrerait également les besoins en lait de marché hors Europe. Les experts assurent que le marché mondial sera tiré par la consommation asiatique. Avec le revers de la médaille : une plus grande exposition au marché mondial. Dans le cadre des négociations à l’OMC, la tendance est d’aller vers un marché de plus en plus libre avec l’abaissement des barrières douanières. Et ce faisant, on est très loin de la production bio.

CIT : Où en est le bio aujourd’hui en France ?

Le bio, c’est 1 % de la production laitière, soit 200 millions de litres. Le lait bio est un marché porteur, qui se développe bien. Mais le chiffre reste dérisoire. Les produits bio sont plus chers, est-ce que les Français accepteront ce surcoût ?
Techniquement, on peut arriver à produire du lait bio, mais la marche est vraiment haute pour atteindre les 23 milliards de litres consommés en France.

CIT : Les perspectives pour le bio ?

Le prix moyen du lait était en 2009 de 43 centimes le litre. Cette année, il devrait baisser à 40 ou 41 centimes.
Et malgré la crise économique, l’achat de lait bio est en augmentation, ce qui tend à prouver qu’il est le fait des classes moyennes à élevées.

CIT : Objectifs dans le cadre du Grenelle de l’environnement ?

L’Etat s’est engagé dans ses restaurations collectives à acheter 20 % de ses fournitures en bio. Il entend ainsi être valeur d’exemple et inciter d’autres collectivités à le suivre, par exemple la restauration scolaire (qui n’y est pas tenue).
Ainsi il y aura un appel de produits bio. C’est porteur d’espoir.

CIT : L’élevage bovin est fortement remis en cause aujourd’hui ?

L’élevage est confronté à deux sortes de critiques : les nitrates et les GES.
En ce qui concerne les nitrates, il y a eu un gros travail effectué depuis 15 ans, et énormément d’investissements financés par les éleveurs.
L’Etat a mis en place un programme pour la mise en conformité environnementale des élevages (construction de fosses à lisier, de fumières…). Entre 1994 et 2007, 90 000 élevages – toutes productions confondues – s’y sont engagés dont 49 100 exploitations laitières. Les derniers chiffres indiquent qu’entre 2002 et 2007, 3,5 milliards d’euros ont été investis dans 53 000 élevages (là aussi toutes productions confondues) dont 700 millions d’euros de subventions accordés par l’Etat, les collectivités territoriales et les agences de l’eau, soit 20 à 25 % des investissements. On estime que les éleveurs ont financé chacun en moyenne entre 45 000 € et 50 000 €, sans pour autant vendre leurs productions plus cher.
Les déjections animales ne polluent pas si elles sont apportées en juste quantité. Il y a vingt ans, les éleveurs n’avaient pas la formation suffisante et ne disposaient pas de références scientifiques suffisantes pour calculer la bonne dose de lisier ou de fumier à épandre dans les champs. Ce qui est compliqué parce qu’on travaille sur le vivant avec beaucoup d’aléas. Heureusement, un gros travail a été entrepris par les instituts de recherche et les Chambres d’agriculture ces quinze dernières années.
Personnellement, j’ai écrit beaucoup d’articles techniques sur ce sujet. Cela a été ma façon de militer pour le respect de l’environnement.
Les résultats sont encourageants. Ainsi en Bretagne, région à forte concentration d’élevages, les apports d’engrais chimique ont diminué de 30 à 40% (selon les sources) entre 1995 et 2006. Il faut continuer.

CIT : Les Gaz à effet de serre ?

Les gaz à effet de serre lié à l’élevage des bovins c’est un sujet dont on commence à parler. Et c’est un sujet où il demeure énormément d’incertitudes en terme de recherche.
Ce qu’on peut dire, c’est que les bovins rejettent du méthane et, en contrepartie, les prairies stockent le carbone. En 2006, la FAO a annoncé que 18% des émissions mondiales de GES provenaient de l’élevage, toutes productions confondues. Mais elle n’a pas intégré le stockage du carbone par les prairies. Elle vient de le reconnaître et elle va reprendre ses calculs. Mais ils n’ont pas encore abouti parce que les calculs s’avèrent plus compliqués que prévu.
Il y a un autre aspect à prendre en considération : l’élevage bovin permet d’entretenir le paysage, les haies, les talus, les prairies et évite l’installation des friches. En termes de maintien de la biodiversité, l’élevage bovin joue un rôle très important.
Que ferait-on des zones de l’Auvergne, des Vosges, des Alpes, etc. où il n’y a qu’une production possible, l’élevage bovin ?
Laissons un peu de temps à la recherche pour comprendre en profondeur les mécanismes. Et j’ai confiance en l’INRA qui est soucieuse d’une agriculture respectueuse de l’environnement et durable. Laissons-les travailler, ne simplifions pas le débat, qu’ils nous fournissent des résultats susceptibles de nous éclairer.

CIT : Comment s’annonce l’avenir des éleveurs européens ?

L’Europe voudra rémunérer ce qu’on appelle des biens publics : la biodiversité, la lutte contre les GES, donc elle favorisera les prairies.
Mais il est probable que les aides diminueront de moitié d’ici à 2020 et que les exploitations risquent de devoir augmenter encore leur taille. Aujourd’hui, on compte 90 000 exploitations laitières. Certains économistes disent qu’il n’y en aura plus que 25 000 dans quinze ans. On est loin d’une production laitière française 100% bio. Je crois plutôt à la cohabitation de plusieurs systèmes de production correspondant à plusieurs types de consommateurs. Je crois aussi que, quel que soit leur système de production, les éleveurs poursuivront leurs efforts pour réduire les nitrates dans les eaux et feront des efforts considérables dans les dix prochaines années pour diminuer le recours aux pesticides.

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