Une aventure extraordinaire en Ariège

Publié le 07/10/2009

Par Yvonne Toussaint, comité de Rédaction

François a d’abord vécu en Irlande, puis avec Geneviève ils ont migré en région parisienne après avoir essayé de vivre d’une petite ferme en Bourgogne. Voici maintenant 30 ans qu’ils se sont installés dans un petit hameau près du village de Montbel, en Ariège.


Comment et pourquoi quitte-t-on une vie plutôt confortable, stable, avec des engagements associatifs et religieux, dont La Vie Nouvelle ?

Nous étions restés fidèles au mode de vie de notre jeunesse, dépourvu de superflu, François dans une ferme en Irlande, Geneviève dans la banlieue parisienne. Nous avions 50 ans, nos trois enfants étaient adultes et autonomes. Notre moteur a été l’envie de retourner à l’agriculture, à la nature. S’y est ajouté l’idéal de la vie communautaire.

Cette envie a pris forme grâce à la rencontre avec un militant CFDT, et la lecture de Témoignage Chrétien. Elle s’est aussi nourrie des observations que faisait François lors de ses voyages professionnels (service export) en Afrique et au Moyen-Orient. En faisant le lien entre le coût d’une nuit d’hôtel et les revenus mensuels, il a réalisé ce qu’était un pays qui n’avait rien.

L’envie était là, forte. Comment lui avez-vous donné corps ?

Il y avait les petites annonces de Libération, de Charlie Hebdo, et de la revue écologique Le Pont, maintenant disparue, dont l’objet était de former des communautés ! Nous avons participé en 1978 à un stage sur la création d’activité où nous avons rencontré Georges, qui est toujours notre voisin. Suite à une annonce du Pont et a une réunion organisée à Paris, nous avons pris la décision de nous implanter près de Montbel, dans un hameau alors inhabité, aux maisons plutôt délabrées. Nous étions 30 personnes concernées : cinq foyers, et des célibataires. Il s’agissait de vivre à la campagne de manière plus simple, plus naturelle et de créer un éco-village. Chacun avait un projet particulier, nous avons acquis en commun une propriété de 100 ha qui comprenait cinq maisons en mauvais état.

Ce fut une période euphorique, une vie rude de quasi-pionniers expérimentant une forme de vie collective. Il y avait des rêveurs. Et l’idéal communautaire est parti en morceaux au bout de quelques mois. Le groupement foncier agricole constitué à l’origine a été liquidé de manière intelligente.

Beaucoup sont partis, d’autres sont venus. Certains sont restés. Petit à petit, les maisons ont été réhabilitées. Aujourd’hui, le hameau est vivant. Une ferme est toujours en activité. Une des maisons offre des chambres d’hôtes.

Votre projet à vous ?

Vivre de l’agriculture. Ayant quitté son travail, François était au chômage. Pour participer à l’achat collectif, nous avons investi nos économies sans réaliser le moindre emprunt.

Avec un de nos fils et sa compagne, nous avons créé un G.A.E.C.[[G.A.E.C. Groupement agricole d’exploitation en commun.]], acheté des vaches laitières pour la fabrication de fromages. Nous cultivions aussi un peu de céréales, et avions le potager. En 1999, notre ferme a brûlé et nous avons cessé l’activité agricole, mais notre fils l’a poursuivie, se consacrant à l’élevage de porcs et veaux en culture biologique.

Dès le départ, nous nous sommes engagés et avons milité pour l’agriculture biologique, où nous avons eu un rôle de pionniers, en lien étroit avec le groupement d’agriculture biologique à Toulouse.

François a été président du Centre d’expérimentation de l’agriculture biologique dans le Gers.

Une autre étape marquante a été le lancement des S.E.L. en 1994, qui nous a valu d’être présents dans de nombreuses réunions dans toute la France, à tous niveaux : au ministère, à l’université de Lyon, à Emmaüs, au Conseil régional de Lille… Et d’être la cible de nombreux reportages télé. Ce fut une aventure extraordinaire. Il y a eu en Ariège jusqu’à 600 membres. Puis le SEL Ariège a diminué petit à petit. Il est difficile de trouver une place à des entités dont le statut juridique ne reconnaît pas de place à la monnaie d’usage.

Notre idée constante : vivre autrement, à la fois en autonomie et en lien.

En quoi votre vie est-elle simple ?

Nous essayons de vivre le plus possible en autarcie, avec une nourriture plus simple, peu de sorties, peu de vêtements. L’important est de vivre dans un lieu où l’on se sent bien.

Notre luxe, c’est une vie saine. C’est le climat agréable, le potager et la serre qui donnent des légumes frais. C’est le calme, les embouteillages parisiens sont loin ! C’est notre goût prononcé pour la nature : les oiseaux, le paysage. C’est la bonne entente avec les voisins, l’entraide. C’est la vie intellectuelle via la musique, la lecture. Nous avons sur place un groupe de musique, la maison de Georges est la maison des jeunes du hameau. Nous avons institué la fête du 15 août avec musique et danse.

Le luxe relatif dont nous disposions avant était tout de même très limité par les contraintes du système boulot-dodo !

Vous sentez-vous isolés du monde ?

Pas le moins du monde ! Nous sommes engagés dans la vie locale, notre foi joue un rôle majeur. Notre activité de visiteurs dans une maison de retraite, d’animation de messes et de célébrations d’obsèques est source de liens. Notre agenda est bien rempli, notre voiture bien utile. Et nous apprécions beaucoup Internet, même si nous n’avons que le bas débit. Lorsque nous commandons un livre sur Amazon[[Site de vente sur Internet]], nous évitons 50 km jusqu’à la librairie la plus proche.

Votre credo ?

Le souci des autres est à la base de notre vie. Porter son regard sur les autres, cela s’apprend. Nous avons éduqué nos enfants à la générosité, pas par devoir mais par tempérament, par goût de l’autre. Ils ne sont pas dans la consommation, nos petits-enfants viennent avec plaisir à Montbel.

L’ennui est source de maladie, le projet est source de vie.

Vos projets actuellement ?

(François n’hésite pas, même à 80 ans) : Parfaire nos connaissances. Je vous recommande la lecture du livre de Jean-Michel Servet Le banquier aux pieds nus sur le microcrédit.[[La microfinance se caractérise par le faible montant des opérations, la proximité non seulement spatiale, mais aussi mentale et sociale entre l’organisation et sa population cible, et la pauvreté supposée des client(e)s ou l’exclusion qu’elles ou ils subissent.]]

Diminuer encore plus notre empreinte carbone : produire de l’électricité grâce au photovoltaïque, remplacer la voiture actuelle par un modèle à air comprimé[[ cf. AirPod, voiture à air comprimé de M.G. Negre, http://www.ecolo-trader.fr]].

Réfléchir avec la municipalité à un concept d’habitation transgénérationnel au bord du lac de Montbel.

Si c’était à refaire ?

Nous repartirions. Mais en se préparant davantage, en évitant de se lancer seuls dans une telle aventure, en prenant le temps de se poser la question : qu’est-ce que vivre ensemble ? Il est bon d’avoir conscience de ses besoins, de savoir vivre dans le silence. C’est un réel changement de vie, nous n’avons jamais été tentés par une marche arrière.

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