Participation citoyenne : tous azimuts pour un même cap ?

Publié le 18/05/2009

Echos de la soirée « Expression de la société civile en Europe »

Par Aude Petelot, Groupe de Bruxelles

Nos démocraties théoriquement « adultes » peinent à pratiquer une saine souveraineté populaire. Légitimité très controversée des décisions politiques, abstention électorale, érosion des partis de masse et des syndicats… Alors qu’elle est essentielle à l’effectivité de la démocratie, une réelle participation fait grandement défaut. La poursuite d’un « mieux commun », d’une plus grande humanité pour nos sociétés en pâtit.


Pour que la démoralisation rampante et les pathologies de la démocratie représentative ne se muent pas en crise globale de la citoyenneté, on convoque aujourd’hui d’autres moyens de mobilisation civile et d’expression politique. Entrevoit-on de véritables moteurs de changement, ou ne s’agit-il que de manipulations cosmétiques?

Les Agoras Citoyennes du Parlement Européen[[1 – voir aussi http://www.europarl.europa.eu, rubrique Le parlement et vous/Agora.]]

Face aux heurts et malheurs de la construction européenne, le Parlement a envisagé d’apporter une réponse structurelle[[2 – Avant même que les « non » populaires successifs ne tirent la sonnette d’alarme, le projet de Traité Constitutionnel portait déjà le principe de la participation, à tout le moins sous forme de consultation, d’initiative citoyenne et de concertation avec les représentants de la société civile organisée.]]. Il s’agirait de nouer un partenariat durable et fécond avec les citoyens européens, pour répondre à leur appel à une Europe mieux en phase avec les aspirations concrètes des gens. Mais comment associer efficacement une démocratie plus directe à la représentation institutionnalisée, dans un espace de plus de 500 millions de citoyens ?

A partir de 2006, le parlement a mis en place une « Agora », en sollicitant les différents organismes de la « société civile européenne » identifiés par les commissions parlementaires et les députés individuellement. Les deux premières expériences d’Agoras citoyennes (novembre 2007 et
juin 2008) ont rassemblé près de 500 représentants d’organisations associatives, professionnelles ou syndicales. Elles se sont révélées très positives : « Dans l’amphithéâtre du Parlement, je me suis véritablement senti citoyen européen », rapporte un représentant. Deux séries de recommandations ont été formulées à l’intention des Institutions Européennes – notamment en faveur d’une action plus radicale dans la lutte contre le changement climatique. Une prise en compte explicite et des réponses motivées aux propositions formulées par les précédentes Agoras se font toutefois encore attendre.

L’expérience va-t-elle se consolider ? Un obstacle tangible à l’épanouissement de ce processus lent et fragile est – comme bien souvent en démocratie participative – l’étroitesse de la marge de manœuvre entre consultation sourde, récupération politique et montée en puissance d’un « second Parlement européen » aux dépend des élus.

Fin 2008, près d’une dizaine d’organisations de la société civile européenne, coordonnées par le Forum Permanent (FPSCE, voir encadré) ont adressé au Président du Parlement européen un appel à perfectionner et à pérenniser un dialogue structuré au travers des Agoras, en s’appuyant de façon transparente sur les recommandations qu’elles formulent.

Devenir citoyen : les sondages délibératifs pan-européens

Que penseraient les citoyens de l’Europe, si on leur donnait accès à une information équilibrée ? Comment leur vision de l’avenir de l’Europe changerait-elle après avoir partagé leurs différentes visions et délibéré ensemble ? C’est à ces questions que Tomorrow’s Europe, le premier Sondage Délibératif®[[3 – d’après le concept de démocratie délibérative développé notamment par le professeur James S. Fishkin de l’Université de Stanford.]] européen, s’est efforcé de répondre, en partenariat avec de nombreuses organisations de la société civile.

A l’initiative du think tank Notre Europe (voir encadré), 362 citoyens âgés de 18 à 80 ans, en provenance des 27 Etats membres de l’Union, se sont rassemblés durant 3 jours d’octobre 2007 dans les locaux du Parlement européen à Bruxelles. Ils ont reçu une information présentant les différents points de vue, et pu pendant un week-end entier réfléchir et débattre, confronter leurs opinions avec celles de ressortissants d’autres Etats membres, poser leurs questions à des experts et à des hommes politiques de premier plan.

Les participants ont été consultés avant et après avoir participé à ce processus délibératif. Les résultats de ce sondage montrent que les opinions des participants ont fortement évolué sur la plupart des enjeux sur lesquels ils étaient amenés à réfléchir, confirmant ainsi la thèse selon laquelle le Sondage Délibératif permet réellement d’apporter un changement significatif d’opinion chez l’échantillon sélectionné.

Une telle expérience est riche d’enseignements et de pistes méthodologiques pour une véritable participation citoyenne. Elle constitue aussi une critique radicale des sondages d’opinion tels qu’ils se pratiquent couramment.

Changer soi-même pour que le monde change ?

Du quartier à l’Europe, au-delà même des frontières, la citoyenneté active s’expérimente selon des voies nouvelles et toujours plus nombreuses ; encore bien d’autres exemples que ceux présentés ici méritent d’être cités : les budgets participatifs comme à Porto Alegre au Brésil, Fissel au Sénégal ou au Plateau Mont-Royal au Canada, Séville ou Saint-Denis ; les comités de quartiers tels qu’à Paris, Roubaix, Toulouse ou Montbéliard, les assises de la ville comme à Ivry sur Seine, les ateliers urbains comme à Echirolles ; les écoles à pédagogie institutionnelle ; les jurys ou panels citoyens…

Ces entreprises diffèrent à la fois dans leurs objectifs, les citoyens qu’elles mobilisent, leurs modalités de fonctionnement et l’échelon auquel elles s’insèrent dans les processus démocratiques établis. Cependant, elles partagent des dimensions primordiales de développement social : inclusion, information et formation active, échange d’idées et pratique organisée du débat.

Sans aboutir toujours à des conclusions communes et à une influence décisive sur les décisions politiques, elles peuvent offrir à tous l’occasion de se livrer avec d’autres personnes (parfois d’autres nationalités) à un examen approfondi de questions essentielles pour notre société ; par là, elles contribuent à former des citoyens mobilisés, éclairés, capables de confronter des opinions argumentées en gardant l’intérêt collectif en ligne de mire.

Plus qu’un chétif supplément d’âme ?

A n’en pas douter, de telles aventures participatives peuvent apporter plus qu’un chétif supplément d’âme à nos démocraties mal en point. Cependant, elles sont indiscutablement exigeantes. Un engagement vivant et soutenu n’est possible dans la durée que si les travaux réalisés ont un retentissement manifeste dans les prises de décisions politiques : les citoyens volontaires ne se satisfont pas longtemps d’une écoute sélective de la part d’élus et de pouvoirs en place. Pour que ne claquent pas ces portes ouvertes ici et là sur des modifications en profondeur pour notre société, les « puissants » de tous bords doivent favoriser l’épanouissement de ces initiatives citoyennes, et oser leur offrir une place à leurs côtés.

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