Un quartier « durable »

Publié le 07/11/2007

Marie-Anne Lambotte, secteur Politique

Nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec Andreas Delleske [[Andreas Delleske habite le quartier depuis le début, y a été l’animateur du premier groupe SUSI (cf. ci-dessous). Il a été un des responsables du Forum Vauban, le cofondateur de la première maison « passive » (dépense d’énergie 15 kWh/m2/an) en 1998/1999, et exerce le métier d’ingénieur (il dit « concepteur électricien »). Il avait milité contre la Centrale nucléaire de Fessenheim dans les années 80.]], acteur principal de l’action citoyenne dans le quartier Vauban de Fribourg en Brisgau.


Il est revenu sur l’historique du projet :
Des casernes sur un site de 37 hectares, construites en 1936 et occupées après la seconde guerre mondiale par les troupes françaises, sont libérées en 1992.Les lieux sont cédés à la région (Land) puis revendus à la ville de Fribourg à prix réduit.

Le conseil municipal de Fribourg décide de créer un nouveau quartier pour environ 5 000 habitants, planifié dans le respect de l’environnement. L’urbanisme « durable » est en effet de tradition à Fribourg dès les années 70.

Une société d’aménagement communal implantée à Stuttgart est chargée, après appel d’offres, d’aménager le quartier.

Les casernes devaient être détruites, mais au moins deux d’entre elles ont été immédiatement squattées par des étudiants et une population en mal de logement (il y avait 3 000 personnes sur la liste d’attente qui recherchaient des logements à bas prix).

Et ce fut la première étape d’un combat, où les « alternatifs », les anarchistes ont accepté de se plier aux règles du dialogue, de la concertation avec la municipalité propriétaire des terrains. La première étape d’une participation civile élargie, dont les principaux acteurs ont été :

1 – Le « Forum Vauban » : il a attiré un certain nombre de familles à la recherche de logements adaptés à leurs besoins et à leurs rêves (les futurs clients, presque toujours absents des projets immobiliers). Il a fonctionné comme un comité de pilotage, avec des principes (en particulier l’indépendance par rapport aux administrations, le dialogue et la négociation) et un cahier des charges.

Il ne s’est pas contenté de donner son avis sur des projets présentés par la municipalité, il a présenté des suggestions, des concepts, et s’est fait accepter comme partenaire pour la conception de l’ensemble du quartier, sans avoir de droits formels. La collaboration a duré dix bonnes années.

Au crédit du Forum Vauban : une Place du Marché, une Maison de Quartier, l’attribution de la plupart des terrains à des associations de particuliers qui se regroupent pour faire bâtir (Baugruppen). Seule la quatrième tranche a été attribuée à des promoteurs.

Leurs échecs : presque toutes les casernes ont été détruites, alors que les réhabiliter aurait permis de faire des logements sociaux à bas coût. La mauvaise orientation de la plupart des parcelles et donc des maisons ne permet pas de construire de maisons « passives » amortissables facilement.

Le Forum Vauban a aussi assuré des formations : sur les énergies renouvelables, sur les matériaux bio, les jardins bio, les chauffages économiques en énergie, la protection de la biodiversité… Des conseils de quartiers se sont réunis régulièrement jusqu’en 2004. Le Forum a compté jusqu’à 400 membres en 2000-2001.

2 – La SUSI : initiative de logements autogérée et indépendante, organisée par des personnes à bas revenus souhaitant se loger. Elle a transformé les bâtiments de caserne en logements locatifs bon marché.

3 – La Genova : coopérative de construction créée à l’initiative du Forum, et qui a été à l’origine d’efforts sur la mixité intergénérationnelle, pour des installations collectives et des aménagements d’espaces semi-publics attractifs, facteurs de convivialité.

Il est important de noter que ces acteurs de la société civile se sont entourés d’experts : le processus de discussion a été subventionné (8,5 emplois financés par la ville, 4 projets de recherche financés par l’Etat fédéral et l’UE).

Le résultat

Un quartier selon le modèle de la cité-jardin, avec circulation automobile limitée (seulement un quart des habitants dispose d’un parking), des zones piétonnières, l’utilisation massive de vélos, l’essor de l’auto-partage. Et des transports publics qui permettent de rejoindre le centre-ville en 10 minutes.

Des maisons économes en énergie, des maisons « passives » (15 kWh par an et par m2 au lieu de 250 dans un habitat classique), beaucoup de panneaux solaires.

Beaucoup de verdure, d’aires de jeux, des logements individualisés, même s’ils sont construits par un groupe de constructeurs (les gens qui ont l’argent pour construire veulent le faire selon leurs désirs ; d’habitude, ce n’est possible qu’en maison individuelle). Et un quartier au choix écologique évident au promeneur, même non averti.

Qui s’est intéressé à l’aménagement du quartier ? Les futurs habitants, mais aussi une soixantaine d’architectes, dont 11 habitent dans le quartier, des « alternatifs », des anarchistes, des écologistes… Une des règles de cette participation : accepter toutes les idées, surtout les plus extrêmes, celles qui amènent les changements et conduisent à en discuter. La population est relativement homogène en âge (de 35 à 45 ans avec des enfants – 31% de moins de 18 ans ) et en niveau culturel (couches moyennes aisées, plutôt intellectuelles).

L’unité du groupe vient surtout du souci écologique d’économiser l’énergie, de la volonté d’une démarche pragmatique pour améliorer tous les détails de la vie quotidienne, la recherche d’une qualité de vie et le souci de l’avenir, le sien et celui de la planète.

Actuellement, Forum Vauban a cessé. Le plan général est là. Cependant le Club du quartier organise encore des ateliers pour se rencontrer, informer les nouveaux, aider à la formation des nouvelles coopératives de construction. On se mobilise aussi pour ou contre l’établissement d’un nouveau supermarché sur un terrain encore libre.

La ville a défini un certain nombre de critères d’attribution des parcelles restantes, critères à la fois sociaux et écologiques, par exemple une famille sans voitures bénéficie d’un plus !

Deux bémols : les handicapés n’ont pas trouvé ici les conditions idéales (pas de voitures devant la maison, pas d’ascenseurs).

La mixité sociale est faible. Il faut de l’argent pour bâtir. Les loyers sont relativement plus abordables au centre ville. Dans le quartier Vauban on trouve des sociétés de location (entre logements sociaux et copropriété) plutôt que des logements sociaux. (Il aurait pu en être autrement si on avait réhabilité les casernes au lieu de les faire disparaître).

L’expérience n’est pas immédiatement transposable, nous dit Andreas Delleske. Il faut bien se rendre compte qu’il y a eu là une convergence de facteurs assez rare : au départ un espace disponible, appartenant à la ville, peu éloigné du centre ville, une forte demande en logements une tradition de lutte écologique (combat anti-nucléaire des années 80), la présence à Fribourg d’Instituts écologiques déjà anciens et renommés, une municipalité « verte », où siègent des spécialistes en énergie.

Andreas Delleske insiste beaucoup sur la démarche pragmatique : « Je ne suis pas un militant, je me trouve normal, nous discutons des faits… ce qui est premier, c’est le bon sens ».

Un autre quartier est actuellement en cours de construction, le Rieselfeld, sur l’ancien champ d’épandage de la ville (assaini !) sur un concept semblable, pour une dizaine de milliers d’habitants.

Allez visiter le quartier Vauban. Vous aurez envie d’un urbanisme plus écolo et plus humain, où il fait bon vivre.

Mais sachez aussi qu’il existe en Europe et en France d’autres réalisations de quartiers « durables », espaces de vie qui replacent l’usager au centre des préoccupations et préserve l’environnement : BedZED à Londres , Kronsberg à Hanovre , B001 à Malmö , Hammarby à Stockholm, Vikki à Helsinki, Poblenou à Barcelone, les projets de la ZAC du Théâtre à Narbonne, de Boutzwiller à Mulhouse, la ZAC de Rungis dans le 13ème à Paris, Loos-en-Gohelle dans le Nord Pas- de-Calais…

Changer la ville pour y vivre mieux ensemble, c’est possible… Et nécessaire pour des citoyens conscients de leur responsabilité envers eux-mêmes et les autres.

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