Loin de la « forteresse »… une cité ouverte et engagée

Publié le 05/12/2016

Guy Gloria,
Atelier Sobriété et développement durable avec le Comité de rédaction

Depuis les nuits d’ »émeutes » urbaines de 2010, La Villeneuve est représentée par une partie des médias comme un lieu de non-droit. A la suite de l’assassinat de deux jeunes d’Echirolles par un groupe de La Villeneuve, l’émission d’Envoyé Spécial programmée le 28 septembre 2013 a contribué à renforcer cette image négative. A rebours de ces clichés, les rencontres avec les habitants et le tissu associatif de La Villeneuve nous ont permis de voir un quartier qui à la fois sait regarder ses difficultés et bouillonne d’initiatives pour favoriser l’implication citoyenne et créer du lien social.


Les militants et collectifs d’associations, ainsi que plusieurs chercheurs en sciences sociales que nous avons rencontrés, sont tout à fait conscients des difficultés sociales et économiques auxquelles doit faire face une population de plus en plus paupérisée à La Villeneuve. Ils analysent et critiquent les réponses apportées à ces questions par les politiques publiques et les mouvements d’éducation populaire. Et cette réflexion commune est l’occasion d’explorer de nouvelles solutions et d’innover.

Une analyse critique des politiques menées à La Villeneuve
Le sociologue-urbaniste David Bodinier, animateur d’un collectif d’habitants à La Villeneuve, dénonce ainsi la rénovation urbaine de l’Arlequin :
« La destruction des 73 logements sociaux et HLM de bonne qualité pour construire un parking Vinci a été une victoire à la Pyrrhus de la municipalité socialiste et la cause de la perte des élections de 2014. 80 millions ont été investis pour peu de résultats et créer des problèmes beaucoup plus graves ». Il estime aussi que les structures d’éducation populaire ont échoué dans le modèle d’intégration des populations d’origine étrangère. Comme aux États-Unis, ces populations doivent lutter pour faire valoir leurs droits civiques comme celui de voter aux élections locales.
David Bodinier rappelle enfin que « l’éducation avec des pédagogies nouvelles dans l’enseignement public a été abandonnée. » Pour lui, la fin de ces expériences pédagogiques a entrainé le départ des habitants les plus militants et la démotivation des enseignants. La venue de populations plus précarisées a renforcé la ségrégation avec des conséquences catastrophiques : non réussite scolaire, chômage, délinquance.

Changer le regard sur La Villeneuve
Les habitants s’organisent pour donner leur propre vision de l’espace où ils vivent. Le collectif d’associations « Villeneuve debout » s’est créé en ce sens après 2013[[Pour plus d’info, le blog de Villeneuve Debout : http://villeneuve-debout.blogsolidaires.org/]]. Un journal participatif mensuel et le crieur de La Villeneuve ont vu le jour en 2014, afin d’exprimer le point de vue des habitants et rendre compte du quotidien.
La régie de quartier assure des travaux de gestion urbaine de proximité, des médiations de nuit. Elle anime un pôle de développement durable en recyclant des objets récupérés. Elle emploie 70 salariés dont 30 en contrat d’insertion. A la fin de ce contrat 60 % d’entre eux retrouvent un CDI, un CDD ou une formation longue.

Faire un lien entre l’Université et les « tours d’en face » pour comprendre et agir
à La Villeneuve

Parallèlement, nous avons rencontré la sociologue Claske Dijkema qui consacre sa thèse de doctorat à l’analyse des conflits du quotidien à La Villeneuve. A partir du constat de l’ »absence de connaissances scientifiques quant aux interprétations que les habitants ont de ces violences », elle a centré son étude sur « les violences quotidiennes plus que paroxysmiques, en utilisant des méthodes qualitatives (exemple : cartographie sensible) »[[Claske Dijkema, Violence en ville, comprendre et agir. Analyse des conflits du quotidien dans l’espace public à Villeneuve, Grenoble, Thèse en préparation. Résumé disponible sur http://www.theses.fr/s125496.]]. Elle participe au projet d’université d’éducation populaire basée sur un échange réciproque de savoirs entre l’Université et La Villeneuve, afin de créer un espace de réflexion et de confrontation dans la bienveillance[[Claire Dijkema, David Gabriel, Kirsten Koop, Les tours d’en face. Renforcer le lien entre Université et Villeneuve, http://www.gis-cist.fr/wp-content/uploads/2016/03/publi-les_tours_den_face-renforcer_le_lien_entre_universite_et_villeneuve.pdf.]].

Une vie associative riche et variée pour favoriser le lien social
La visite a permis de découvrir un quartier avec des immeubles extérieurement bien entretenus et un parc paysager en buttes, agréable à parcourir. Nous avons rencontré des personnes engagées pour que les habitants puissent s’intégrer dans la société. Parmi les militants associatifs, nombreux sont ceux issus des mouvements d’éducation populaire, à l’instar d’Alain Manac’h, ancien animateur de LVN. L’engagement associatif se déploie dans tous les domaines de la vie sociale, notamment :
• Le soutien scolaire. A l’association Osmose, nous avons rencontré Adel Karmous qui travaille comme ingénieur dans une entreprise de micro-informatique la nuit et fait de l’aide aux devoirs en fin de journée. L’association qu’il préside regroupe 120 enfants qui viennent des écoles privées et publiques. Il continue à habiter le quartier malgré les difficultés et il veut donner ce que lui a reçu.
• La vie culturelle et sportive. La compagnie des Petits Poids et celle de l’Espace 600 initient les enfants au théâtre et à la formation de leur esprit critique. Nous avons aussi rencontré Willy Lavastre, de l’association Batikavi. Il s’occupe d’une soixantaine de jeunes qui pratiquent la Batucada, des percussions brésiliennes de rue. Ils animent la vie locale et donneront cette année 150 représentations en France et dans le monde. Ils promeuvent des valeurs éthiques et humaines.
Pendant les jeux olympiques de Rio, ils se sont rendus dans les favelas pour apporter une aide aux habitants. Toutes ces associations offrent un espace d’évasion pour sortir du quotidien et se réaliser.

• La lutte contre les préjugés et les discriminations. L’association des femmes musulmanes est un collectif de femmes qui se sont regroupées « face à l’interdiction du port du voile pour les nourrices ». Elles luttent contre l’islamophobie, le colonialisme et mettent l’islam au cœur de leur vie et de la société.

• Les associations, comme le Barathym ou l’association Arc-en-Ciel, qui créent de la convivialité et permettent tout simplement de partager un moment ou un repas ensemble. Anne Françoise Romanet (Arc-en-Ciel) nous a ainsi accueillis pour un repas. Elle ne compte pas moins de 6 nationalités dans sa propre lignée. Nous avons apprécié le menu : salade fraicheur, papillote de saumon, banane plantain gingembre, riz sauce citronnelle, fromages, plum-cake pomme-noix de coco et café. La vie prend une autre saveur autour d’un bon repas pour rencontrer l’autre.

Toute cette énergie associative est soutenue par la municipalité, à travers l’attribution de subventions, la mise à disposition de locaux ou d’un salarié pour les tâches administratives. Mais elle ne peut se maintenir que grâce au dynamisme et au dévouement de ses bénévoles. Comme nous en avons été témoins, les habitants et militants associatifs de La Villeneuve se prennent en main pour faire entendre leur voix, favoriser l’implication de chacun et mieux vivre ensemble – et démentent l’image que certains médias et politiques accolent au quartier.

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