Jo Spiegel : à l’aube de la deuxième révolution de la démocratie

Publié le 08/02/2016

Compte rendu par Yvon Puech, Groupe LVN de Rodez

Les 24 et 25 septembre 2015, Jo Spiegel, maire de Kingersheim, était à Rodez, invité par le groupe départemental du « Pacte civique ». Conférence de presse, rencontre avec des élus, réunion publique à Luc, rencontre avec des militants : Jo Spiegel, pédagogue ardent, a parlé de ses expériences et de ses convictions, développé sa vision de la démocratie exigeante et constructive.


Il court, Joseph Spiegel. Il court et parle vite et il s’enthousiasme à l’occasion. Ça se voit qu’il a été professeur d’éducation physique et coureur de haut niveau en demi-fond. Le maire de la ville de Kingersheim (13 500 habitants, Haut-Rhin) fait du vélo aussi et il avance, même dans les cols, il fonce. Il a le sens des raccourcis et des formules (ses interventions en sont parsemées), et tant mieux si c’est un peu provocant.
Mais qu’est-ce qui fait courir Jo Spiegel ? Il l’avoue : au début c’était le goût du pouvoir, le besoin de reconnaissance, et l’amour du leadership. Il s’accuserait presque de n’avoir pas été assez présent à sa famille. Il le confesse même : oui, il a été cumulard (mairie, communauté de communes, conseil général, conseil régional), lui qui aujourd’hui considère le non-cumul des mandats comme le socle du changement de la démocratie. Maintenant, il annonce pour la fin de son mandat actuel une nouvelle vie, hors mandat politique.
Pour l’instant il appuie sur les pédales, a conscience d’avoir accumulé des expériences et il serait heureux qu’elles servent, que certaines germent et se multiplient.

La crise de fond
Commençons par le commencement. Lucidité.
Au départ, une passion : le local et un constat : la crise. La crise est profonde : économique, idéologique, politique… mais, au fond, il y a la crise démocratique ! La démocratie comme pierre angulaire. Le fossé s’est creusé entre représentants et représentés ; d’où les abstentions, l’individualisme privé, la manipulation des peurs, les promesses ni tenables ni tenues… La marchandisation et le consumérisme ont gagné la démocratie, aussi. Les partis politiques sont devenus des machines à conquérir le pouvoir, à sélectionner pour le pouvoir. La crise est profonde et pourtant certains élus continuent comme si de rien n’était, et les citoyens sont piégés dans « l’assistanat civique » et s’éloignent… Pas étonnant : « tant que la démocratie est infantile, la politique est une cour de récréation ».

Ingénierie démocratique
Alors Jo Spiegel s’est battu et se bat… Et il essaye : on n’est pas obligé de faire des inaugurations avec ruban coupé si une semaine d’appropriation d’un équipement est bien plus intéressante. Et pourquoi ne pas distribuer des graines pour que les habitants prennent en main le fleurissement d’un quartier ?…
Mais pas question d’en rester aux petites fleurs ou aux « causettes ». Des procédures, des outils, une formation sont nécessaires, indispensables. Et naissent à Kingersheim la maison de la citoyenneté, les états généraux, les conseils participatifs, l’Agora de l’engagement (dernière création) ; (voir le livre auquel Jo Spiegel a participé : « Faire (re)naître la démocratie, vers un nouvel engagement citoyen », aux éditions Chronique sociale).
Et voilà Jo Spiegel qui s’enflamme : il y a bien des lieux (et des règles et des normes) pour le sport, la culture, la musique et tout le reste… Pourquoi n’y aurait-il pas des lieux pour la démocratie ? Il y a bien des ingénieurs pour l’agriculture ou la construction par exemple, et pourquoi n’y aurait-il pas des experts, des ingénieurs pour le débat public ?

Du « je » au « nous »
Tout commence en effet par le débat en démocratie. Se rencontrer, parler, s’écouter, entendre la singularité de chacun. N’avoir peur ni des désaccords, ni des compromis. Ensuite, il sera possible d’élaborer une vision et un projet, c’est-à-dire passer du « je » au « nous », construire du « commun ». Finalement viendra la décision qui sera une codécision, une co-production. Voilà le triptyque, il ne s’improvise pas. Une formation, des techniques sont indispensables. Citations-refrains : « Ne pas faire pour les habitants, mais avec les habitants » ; « La légitimité d’une décision ne dépend pas de qui la prend mais du comment on la prend » ; « Je ne parle pas de démocratie participative, mais de démocratie d’élaboration collective, de construction, d’engagement… »
Bien sûr, il faut croire en la force de l’interactivité, en l’intelligence collective, en « la fertilisation croisée des points de vue ». La démocratie se joue à trois bandes : les élus, les organisations et associations, les citoyens.

Une course lente
L’objectif, c’est quoi ? Donner du sens, permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même. Dans son langage, Jo Spiegel parle de « démocratie édifiante ».
Il insiste aussi, et abondamment, sur la « démocratie lente ». Parce que l’altérité doit être prise au sérieux ; les choses sont complexes ; il faut respecter les temps de maturation. Ainsi, pour prendre en compte ces différents éléments constitutifs d’un projet (altérité, complexité, maturité) à Kingersheim, il est constaté que la démarche de construction d’un projet dure environ dix-huit mois !
Bref « la démocratie est une course de longue haleine »
Alors, oui, vous penserez que tout cela est exigeant. Jo Spiegel aime le répéter : « la démocratie est exigeante »,
elle est basée sur le respect, elle doit mettre en œuvre une éthique de la discussion. C’est « une épreuve » qui ne va pas sans tensions.
Ce qui oblige à être modeste, ce qui oblige aussi à avoir du respect pour les élus, souvent bénévoles, dans les petites communes au moins…
Résumé. Après la première révolution (le droit au bulletin de vote), c’est l’heure de la deuxième révolution de la démocratie, celle qui vit entre les bulletins de vote… Une véritable métamorphose à impulser: « Nous sommes en transition »

La radicalité du possible
Le monde ancien meurt, le nouveau est en train de renaître…
Comme une espérance… Jo Spiegel analyse que les trois cultures politiques traditionnelles sont totalement cloisonnées : culture de l’utopie, culture de l’indignation et de la résistance, culture de l’engagement et de la régulation, et il fait le pari que l’intelligence démocratique de construction du compromis aboutira.
Jo Spiegel cite Mounier, Ellul, Arendt, Jaurès, Mendès, Havel. Il se réclame de la « radicalité du possible ». Radical ?
Oui, mais « tout n’est pas possible ».
« Comprendre le réel pour aller à l’idéal… »

Le politique au risque de la spiritualité
De plus en plus volontiers, dit-il, il parle de spiritualité en politique et en démocratie. Cela demande, c’est vrai, des explications… et le voilà qui évoque le sens, l’intériorité, le retour sur soi, la priorité à l’humain, le lâcher prise et encore le sens…
Il lui arrive d’évoquer cette lutte avec le silence au Carmel de la Paix, à Mazille, en pleine campagne bourguignonne…

Partager cet article :

S'inscrire à la newsletter

Newsletter

Suivez l'actualité de l'Association LVN avec la lettre d'information trimestrielle