Combien pèse un Français ?

Publié le 27/03/2012

Dominique Méda et Patrick Viveret font remarquer que l’un des oublis les plus graves du PIB est la prise en compte de l’environnement. Il convient donc de prendre en considération ce que le Français (comme les autres humains) fait de ces biens communs.

Par Bernard Langevin, et l’atelier un autre monde est possible


4 tonnes – équivalent pétrole (« Tep »), c’est ce que consomme bon an mal an un Européen, certains un peu moins (3 tonnes), d’autres un peu plus (5 tonnes), la France se situant dans la moyenne.
Cela signifie que si nous ne consommions que du pétrole, nous brûlerions au total en chauffage de la maison, essence pour la voiture, pour l’alimentation de nos machines à laver, TV, etc., et pour faire tourner l’entreprise où nous travaillons, un réservoir de 4 tonnes de pétrole, soit environ 5 m3. Pour l’ensemble de votre famille, vous pouvez faire la multiplication…

Vous allez me dire que vous ne consommez pas que du pétrole, mais aussi et notamment de l’électricité. Seulement votre électricité provient de centrales qui produisent de l’électricité en grande partie de « produits carbonés » (pétrole, gaz, charbon, lignite) de façon assez interchangeable pour l’Union européenne en général ; nous reviendrons sur le cas très particulier de la France pour la production nucléaire. Sur les 4 tonnes équivalent pétrole que vous consommez, plus des trois quarts viennent de ces énergies carbonées que la terre a mis des millions d’années à accumuler dans ses entrailles (le reste étant constitué pour 13 % par le nucléaire et 8% pour les énergies renouvelables).

Que vous soyez « tout électricité » ou que vous ayez une consommation diversifiée électricité/fuel/gaz etc., c’est un peu « bonnet blanc ou blanc bonnet » et vous consommez toujours 4 tep/an en moyenne.
Comme les trois quarts des 4 tep proviennent des produits carbonés, ce sont donc 3 tonnes de produits carbonés que chacun d’entre nous consomme sans en avoir vraiment conscience, envoyant dans l’atmosphère 10 tonnes de CO2[[1 – Au niveau mondial, les hommes envoient dans l’atmosphère 25 milliards de tonnes de CO² (ils en envoyaient 15 milliards en 1980).]] ! Et nous n’avons pas plus conscience que ces 10 tonnes de gaz ont un effet de serre qui provoque le dérèglement du climat. De combien la température moyenne va-t-elle grimper ? 2°C ? 4°C ? 6°C ? Nul ne le sait vraiment, mais ce dont on est sûr, c’est ce que les conséquences, largement inconnues, seront graves[[2 – Le dernier rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement), estime qu’il sera difficile de limiter à 2,5°C. le réchauffement climatique, d’ici la fin du siècle. Encore faut-il que tous les pays respectent leurs engagement.]] : montée des eaux et inondations, dérèglements climatiques etc…

100 fois plus d’énergie en 100 ans !

Le paysan de jadis (90% de la population française au début du XIXème siècle), avait à sa disposition sa propre force de travail (équivalent de 100 watts : ce qui veut dire que s’il travaillait 10 heures par jour pendant 300 jours par an il produisait de l’ordre de 300 kWh par an, soit l’équivalent de 30 litre de pétrole). Ajoutez-y éventuellement la force d’un ou deux chevaux, environ 1 000 watts par cheval et vous voyez que vous n’allez pas bien loin. En gros l’exploitation des énergies fossiles a permis le développement industriel moderne en démultipliant par 100 l’énergie dont dispose une personne.

Cette consommation énergétique est le ressort premier, le cœur même de notre développement économique depuis le milieu du XIXème siècle. Les économistes ont montré depuis longtemps la corrélation entre l’évolution du PIB et la consommation énergétique. Or le tarissement des énergies carbonées (houille, pétrole, gaz) est proche en terme de civilisation : 30 ans ? 50 ans ? 100 ans au grand maximum. Cela ne veut pas dire que l’énergie va disparaître mais que son prix va s’envoler. Et cela aura des conséquences graves, parfois dramatiques, pour les populations ayant les revenus les plus faibles et pour les pays pauvres.

Surtout, ce qui est sûr, c’est que ce tarissement est évidemment inéluctable.
Cela condamne-t-il donc tout aussi inéluctablement notre développement économique ?
Non, si nous changeons le paradigme de notre « développement ».

Fukushima a fait réfléchir

L’utilisation massive de l’énergie nucléaire telle que le fait la France (40 % de la consommation énergétique totale, alors que la moyenne européenne n’est que de 13 %) a le gros avantage d’éviter les gaz à effet de serre émis par la combustion des énergies carbonées.
Toutefois, les réserves d’uranium/thorium sont du même ordre de grandeur que celles du pétrole ou du gaz, ce qui signifie que si cette énergie était utilisée massivement par la planète, cela ne ferait que repousser le problème de quelques décennies.

De plus, et surtout, il y a « 2 mais » importants. Tout d’abord nous lèguerions à notre humanité, pour des siècles et des millénaires, des déchets radioactifs très dangereux et dont la gestion est et restera problématique à jamais. Et surtout Tchernobyl et Fukushima ont malheureusement démontré que, même dans les pays riches et technologiquement développés[[3 – Et de nombreuses centrales sont exploitées dans des pays (Arménie, Slovaquie, Bulgarie, Congo, Colombie, Jamaïque…) ne disposant pas de moyens suffisants pour entretenir leurs réacteurs et d’assises technologiques suffisantes pour assurer leur autonomie.]], les centrales nucléaires restent gérées par des hommes, compétents mais faillibles qui, face à un évènement imprévisible, peuvent ne pas être capables de maîtriser l’accident.

Et dans le cas d’une centrale nucléaire le risque est énorme. Si de tels accidents étaient survenus à proximité d’une grande mégalopole comme Paris ou Tokyo et que les vents aient poussé les retombées sur elles, combien de morts immédiats ou différés ? Quid de l’obligation d’évacuer, pour des siècles, ces régions métropolitaines majeures ?

Où en sont les énergies renouvelables ?

L’autre alternative est le développement des énergies renouvelables. Comme l’indique leur nom, ce sont les seules dont nos petits-enfants et arrière petits-enfants seront sûrs de l’existence. Actuellement, elles ne représentent que 10 % de la consommation totale d’énergie dans le monde, mais l’Union européenne a une politique volontariste et a fixé l’objectif de 20 % en 2020.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’éolien compte encore pour très peu (7 % de ces 10 %, soit 0,7 % du total) et le solaire encore moins (1 % des 10 %, soit 0,1 %), même si ces énergies sont à l’ordre du jour. La plus grosse partie vient du traitement de la biomasse et des déchets (les 2/3 de ces 10 %) et de l’hydraulique (20 % de ces 10 %). Un énorme « gisement  » est encore très largement en friche, celui de la géothermie.

Il est clair que le développement de ces énergies devrait être une priorité absolue de nos sociétés. La seule inconnue est : « jusqu’où pourra-t-on les développer » ? 30% de la consommation actuelle ? Certains, plus optimistes, pensent que l’on pourrait aller jusqu’à 70 %.

Dépenser moins

L’autre grande voie de sortie de ce dilemme énergétique est de diminuer la consommation d’énergie pour en diminuer la production. Cela semble une lapalissade, et pourtant le passage du rêve à la réalité se révèle difficile, notamment à cause de la faiblesse actuelle des prix de l’énergie qui n’encourage pas à faire des économies « de bouts de chandelle », mais aussi parce que l’homme a une fâcheuse tendance à ne rien changer s’il n’y est pas contraint.

Il y a pourtant beaucoup de domaines où des économies importantes pourraient être faites si une détermination politique existait. Tout d’abord dans l’isolation des maisons (ce qui aurait en plus l’avantage de relancer l’activité du bâtiment qui n’est guère délocalisable). Quand on sait que près du quart de notre consommation domestique relève de nos chauffages et que des maisons « passives » telles que développées notamment en Allemagne ne consomment quasiment rien, on voit les extraordinaires économies possibles.

Dans le domaine des transports, il faudrait privilégier l’achat de produits locaux ce qui limite évidemment les transports. Encore plus simplement, on pourrait diminuer le poids des voitures et leur vitesse ce qui ferait faire des économies énormes très facilement.

Dépenser mieux

Une dernière voie, encouragée par l’UE, est celle de l’amélioration de l’intensité énergétique (nombre de tep nécessaires pour dégager 1 000 € de PIB), autrement dit, consommer moins d’énergie pour un PIB équivalent. La multiplicité des améliorations pourrait faire l’objet d’un article elle seule. Mais pour rester bref disons qu’elle fait des progrès assez rapides, toutefois insuffisants pour résoudre le problème à elle seule[[4 – L’intensité énergétique a baissé de 20 % depuis 1980. Elle est remontée légèrement depuis 2008, la crise n’encourageant pas à la sobriété (étude du Worldwatch Institute, publié dans Les Echos 10/10/2011]].

Quel horizon pour notre action ?

Réduire nos 3 tonnes de consommation de produits carbonés, voilà l’objectif vital pour notre Terre. Et il est possible ! Les voies de solutions sont bien identifiées.

Il faut agir pour obliger nos politiques à légiférer en ce sens. Car il ne faut pas espérer que les industriels (et les financiers qui exploitent ces industries) le feront spontanément. Ce serait trop risqué pour les industries en place. Pourtant cela lancerait des pans entiers d’autres industries dans le secteur des énergies renouvelables, du bâtiment ainsi que les recherches en amont.

Mais il faut aussi nous obliger à changer au plan personnel. Encore faut-il nous convaincre d’abord nous-mêmes que les risques devant nous sont vitaux pour notre civilisation et nous auto-persuader de passer à l’acte à tous les échelons de nos vies personnelles. Et, croyez-en notre expérience, ce n’est peut-être pas la chose la plus facile.

Cela signifie-t-il que nous prêchons une « décroissance » ? Tout dépend de ce que l’on attend du « développement ». Si l’on parle en termes de PIB/habitant il est probable que celui-ci va (modérément) décliner. Mais si on parle de développement humain, la réponse est inverse : ne retrouverons-nous pas une confiance en notre civilisation et une fierté si nous pouvons transmettre à nos descendants une Terre viable, une économie viable ? Serons nous vraiment malheureux si nous roulons à 110 km/h au lieu de 130, le tout au volant d’une voiture légère ? Et vivre dans une maison bien isolée est à coup sûr plus agréable que de vivre dans une maison à courants d’air.
Non seulement un autre monde est possible mais il peut être meilleur ! Voulons-le !

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