Bling bling

Publié le 27/03/2012

Par Aude Petelot, Groupe de Paris, comité de rédaction

Par temps d’austérité et de défiance, entre crispations budgétaires, manques et menaces de dégringolades dans un environnement économique « qui se détériore »[[1 – Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, 15 décembre 2011.]], il n’est pas facile de se déclarer « riche ». Même pour ceux qui se savent plutôt bien lotis, la pudeur autant que les petites gênes aux entournures font voir la richesse chez d’autres d’abord.
La sobriété n’est cependant pas très en vogue, elle non plus. Il s’agit toujours de faire son possible pour « écouter ses envies », « fêter Noël en grand », « trouver le bon cadeau » – ou encore « saisir les opportunités de la crise ». Et tant pis s’il faut « travailler davantage » pour ne pas risquer de « gagner moins »[[2 – Nicolas Sarkozy, début décembre 2011 à Toulon.]].


Un rapide micro-trottoir le confirme aisément : l’envie d’être moins riche apparaît saugrenue. Pour la plupart, aisés ou non, s’enrichir un peu ne serait pas désagréable, voire un progrès souhaitable. Malthus déjà admettait que richesse évoque en définitive « toutes les choses, matérielles ou intellectuelles, tangibles ou non, qui procurent de l’utilité ou des jouissances à l’espèce humaine ». Loin des Gripsou et des Flairsou, tâchons de dresser un rapide panorama de la richesse pour les gens ordinaires.

D’abord, un peu de sécurité. Mine de rien, pensent ceux dont le portefeuille est à plat, avoir un pécule ou un beau salaire permettrait un peu plus de sérénité à la fin du mois. Pouvoir faire face aux imprévus sans donner dans le grand frisson, « ne pas avoir de soucis d’argent »… Rien que de très légitime. Encore faut-il se garder des inquiétudes de gestion auxquelles n’échappent pas les fortunés – mais pour beaucoup, la marge est large avant de risquer d’en arriver à de telles extrémités.

Un peu de patrimoine aussi. La richesse se décline en possessions – high-tech ou immobilier, « beaux objets », confort ou clinquant. On touche au plaisir d’avoir à disposition, de posséder – mais aussi au prestige et au statut social. Là encore « être riche » est bien relatif, même si les petites différences sont aussi significatives que les grandes : au quotidien, on se mesure davantage à ses proches, parents, collègues et voisins qu’aux moyennes nationales ou exceptions médiatisées. Cependant, comparer n’est pas aisé ; même à valeur égale, entre posséder 40m² à Paris, 80 en banlieue, 150 en province, avec ou sans jardin – où est la richesse ? Lorsqu’on a un logement fonctionnel, confortable et plaisant, et qu’on sait en profiter, pourquoi a-t-on besoin que l’immobilier dans le quartier prenne de la valeur pour s’en sentir riche ? Et cet I-phone ultra-mode aujourd’hui, dépassé après-demain, est-il signe de richesse ou non ?

Etre riche c’est aussi pouvoir offrir, pouvoir aider – gâter ses proches, ou se départir d’un peu de ce qu’on a au bénéfice de projets généreux ou de lointains nécéssiteux. Par temps difficiles où s’enrichir ne semble pas à portée de tous, le prestige des fortunés s’accroît d’ailleurs à mesure qu’ils se délestent généreusement en dotant des fondations aux visées altruistes. Ne voudrait-on pas croire que la richesse soit aussi un moyen d’être mieux considéré, plus aimé, plus entouré ?

Mais encore… richesse résonne comme liberté et perspectives de plaisir. Certes, la richesse peut parfois enfermer, mais il est difficile de nier les marges de manoeuvre que semble ouvrir l’argent dans une société de marché. Davantage d’argent, c’est pouvoir « s’offrir plus de choses », voyager plus, mais aussi s’assurer de meilleurs soins de santé, investir plus dans les découvertes, la formation, les projets culturels ou personnels qui appellent un peu d’investissement (à condition, bien sûr, d’en avoir le temps – ce qui n’est pas nécessairement gagné).

Et enfin, le luxe – et l’autre face de l’accumulation : la dilapidation. Il apparaît vital de pouvoir au moins un peu, au moins de temps en temps, laisser libre cours à de petites (ou grandes) « folies » sans lésiner ni trop compter. Partout et de tous temps les agapes, les débordements, fastueuses cérémonies nuptiales ou funéraires on fait la respiration des sociétés – et constitué l’arène dans laquelle se joue l’affirmation concurrentielle de prestige.

Toute fuyante qu’elle apparaisse, la richesse convoitée incarne donc bien plus que la tentation du tas d’écus. Quête de liberté, de bien-être, de sécurité, de distinction ou de reconnaissance sociale, c’est notre humanité qui se joue là. Face à de tels enjeux, il semble bien hasardeux de s’en remettre aux idéologies dominantes et aux diktats du marketing pour orienter chacun dans une course aveugle à l’échalote.

On peut s’engager individuellement dans des spéculations et s’activer dans des entreprises tous azimuts, mais on risque au final de servir surtout un objectif dénaturé de croissance du PIB.

Ne vaudrait-il pas la peine de se poser un peu pour « discuter collectivement du choix des éléments qui font une société bonne »3, et construire ensemble une richesse à laquelle il vaut d’aspirer ?

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