« La sortie de religion, est-ce une chance ? »

Publié le 07/04/2011

Par François Leclercq, Comité de rédaction

Voilà la question abrupte (et décapante) que posent cinq prêtres ouvriers de Basse-Normandie, dans un livre La sortie de religion, est-ce une chance ? qu’ils ont publié en automne dernier chez L’Harmattan.
Je suis allé les rencontrer : voilà des extraits de notre entretien.
La question sociale et politique est au cœur de leurs propos. Mais aussi Jésus, l’évangile et les lectures qui les nourrissent quotidiennement.
Aujourd’hui retraités, ils ont travaillé l’un chez Renault, un autre chez Citroën, un troisième à la Poste. Le quatrième a été ouvrier communal, et le cinquième chauffeur de bus.
Agés de 60 à 80 ans (deux sont mariés), ils restent actifs, militants syndicalistes (CGT, Sud Solidaires) et dans diverses associations humanitaires et pacifistes (Mouvement de la Paix, Droit des immigrés,…). Ils participent à des groupes d’études des textes bibliques.


Citoyens : Les prêtres ouvriers ça existe toujours ?

Oui, ça existe toujours. Il y a environ 450 prêtres ouvriers en France, dont 50 encore en activité professionnelle. C’est dire que presque tous sont à la retraite. Et l’ensemble ne peut que vieillir puisqu’il y a de moins en moins de prêtres et que de toute façon la hiérarchie nous ignore.

A Caen, nous sommes une équipe de cinq prêtres et nous nous réunissons régulièrement. En Basse-Normandie, il y a 3 équipes. Il existe une structure nationale où est représentée chaque région.
Mais les équipes jouissent d’une grande autonomie, on n’a aucun compte à rendre, le but de cette équipe nationale et plutôt de coordonner nos actions et nos réflexions.

Nous avons des rencontres nationales et même internationales, puisqu’il existe des prêtres ouvriers en Belgique, en Italie, en Espagne, en Catalogne. Et en Angleterre, avec des prêtres ouvriers anglicans !
Il existe aussi des religieuses ouvrières sur Caen qu’on rencontre parfois dans certaines réunions.

Cit. : Quels sont vos rapports avec la hiérarchie ?

A une certaine époque, quelques évêques ont demandé des prêtres ouvriers, Jacques Gaillot, Jacques Noyer. Mais ils sont très rares.
La réaction la plus fréquente est l’ignorance, l’indifférence. Nous avons rencontré une fois notre évêque, il y a onze ans.
On est dans un cadre qui doit évoluer. Tel que c’est actuellement, il n’y a pas d’espoir d’évolution.
L’Eglise se coupe du monde.
La hiérarchie est dans le cadre de la religion et nous, on est dans le cadre de l’Evangile.

Cit. : Comment voyez-vous la situation actuelle de l’Eglise en France ?

Il y a eu une évolution radicale de sécularisation ces dernières décennies. L’optique des évêques est de sauver la boutique. Il font appel à des prêtres africains ou polonais. C’est très bien, mais ça ne constitue pas la véritable solution.
Comment peuvent-ils ne pas se rendre compte que le processus de sécularisation a accompli ces dernières années des progrès immenses, irrémédiables.
Si jamais le Vatican acceptait que l’Eglise ait une autonomie, il pense que ce serait catastrophique. Donc il n’y a pas de liberté. Le concile Vatican II avait bien essayé de donner une place aux différentes Églises nationales, mais c’est abandonné.

Cit. : Comment vivez-vous votre foi ?

On rencontre le Dieu de Jésus dans les manifs, dans les rues. Il n’est pas replié dans une église.
Il y a des choses qui passent entre les hommes. On a des souvenirs de soirées après une grève, après une lutte, entre copains, entre ouvriers, il y a des choses qui sont passées, qui nous ont marqués.
Quant aux rites, pour nous, l’Euchariste, ça n’est pas un sacrifice, c’est un repas convivial, un repas où devraient être invités les pauvres, les exclus.
Et pour nous, tout ça, ce n’est pas de la théorie, c’est une pratique, qui n’est pas enfermée dans des rites anciens, des rites qui devraient se perpétuer comme ça sans modification. Jésus n’a institué aucun rite ! Et ceux qui parlent de la véritable messe, de la messe de toujours, ça ne veut rien dire, car la messe a évolué au cours des siècles.
Jésus, son projet, c’était de prendre en compte les exclus. On ne trouve pas dans l’Evangile une idéologie formatée. Jésus vivait dans une société excluante, très figée, contre laquelle il s’insurgeait.

Cit. : Votre livre rend compte de la réflexion que vous avez menée au fil des années.

Oui pendant des années, on a lu, on a échangé entre nous.
Et un jour on est tombés sur le livre de Joseph Moingt1, qui nous a semblé le mieux correspondre à notre recherche. C’est un jésuite, un théologien. Un jeune homme de 95 ans !
On lui a écrit pour lui demander s’il nous autorisait à le citer. Il nous a envoyé une lettre de quatre pages, qu’on a gardée. Il nous a encouragés et nous avons continué notre correspondance.
C’est quelqu’un de très attentif à tous les courants. Il est très ouvert. Grâce à lui, on s’est rendu compte qu’il pouvait y avoir une convergence entre la réflexion théorique et nos pratiques humaines. Il repense l’ensemble d’une autre façon.

Cit. : Et comment avez-vous décidé de vous lancer dans l’écriture ?

Au départ, on n’avait pas l’intention d’écrire un livre. On a commencé il y a deux ans. On faisait des comptes-rendus des livres qu’on lisait, Joseph Moingt, mais aussi Marcel Gauchet. Et beaucoup d’autres auteurs, comme Albert Jacquard.
Dans son livre La Condition Historique, Marcel Gauchet2 montre l’évolution de la société, la sortie de la religion. C’est la première fois dans l’histoire du monde que la religion est évacuée d’une société.

Cit. : Ce sont ces livres qui vous ont formés ou transformés ?

Surtout, ce qui nous a transformés, c’est notre vie militante. Entre nous, on aime dire : les pauvres m’ont évangélisé. Car c’est bien ce qui s’est passé. J’ai découvert l’évangile avec les autres, avec les copains.
Je dis les pauvres. Je devrais dire tous ceux qui ont une ouverture aux autres. Et bien sûr il n’y en a pas que dans la classe ouvrière.
Tous les ans, nous suivons une formation Lire la vie, lire la Bible. Cette session régulière ainsi que les lectures dont nous venons de parler nous aide à établir ce lien entre la foi chrétienne et la vie ouvrière.
Nous sommes d’un certain âge. Nous venons d’une période où l’Eglise avait une importance énorme dans la société. Elle s’occupait de l’éducation, de l’enseignement, de la santé, de la vie sociale, gérait les hôpitaux… Et l’Eglise n’a pas eu qu’un rôle négatif. Mais peu à peu, elle en a fait son fonds de commerce sans se rendre compte que ce n’était pas forcément à elle de tout gérer. Toutes ces tâches doivent revenir au monde laïc. L’Église a eu l’impression de détenir tous les pouvoirs.

Cit. : D’où la sortie de religion ?

On constate qu’elle est bien avancée dans beaucoup d’endroits. Dans le monde entier, même si la situation n’est pas la même d’un pays à l’autre. Nous, on réfléchit surtout à partir de l’Occident et de la classe ouvrière. Et c’est quand même parmi la classe ouvrière que la sortie de religion est la plus avancée.
Mais à partir du moment où la hiérarchie de l’Eglise est bloquée dans une idéologie dépassée, une idéologie de l’époque où elle avait tout pouvoir, eh bien, si jamais on veut que l’humanisme évangélique ait un avenir, on n’a pas le choix.
Ce n’est pas par plaisir qu’on parle de sortie de religion, mais c’est une chance pour que l’humanisme évangélique puisse intéresser aujourd’hui à nouveau les masses.
Ce que dit Moingt, et qu’il répète souvent, c’est que le christianisme a deux pôles : le pôle religion avec un ensemble de rites à accomplir et le pôle Évangile qui concerne l’essentiel du message de Jésus.Il faut que ce soit le pôle évangélique qui domine, qui fasse avancer. Malheureusement, c’est le contraire qui se produit.

Cit. : Est-ce que vous vous souciez de l’environnement ?

On n’est pas engagés politiquement, dans des partis écologiques mais ça nous tient à cœur. Ce sera un des domaines qui vont marquer les années à venir, la croissance n’est pas infinie.

Voilà un domaine où les chrétiens doivent trouver une voie. Jésus ne donne pas de recettes, l’Eglise n’a pas de solution, ça ne se trouve pas dans l’Evangile qui n’a pas réponse à tout. Il n’a pas les réponses aux problèmes du 21ème siècle.

Dieu n’est pas fini et on doit l’aider à grandir, on a à faire grandir l’homme puisqu’on fait grandir Dieu en faisant grandir l’homme. Et en répondant aux questions du siècle dans lequel on est et non pas en cherchant dans le passé des formules ou des recettes toutes faites.
Une phrase nous avait bouleversés dans le livre d’Etty Hillesum3 quand elle s’adresse à Dieu : « Ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. »

Cit. : Comment est-ce que vous voyez Dieu ?

En gros, on sait ce que Dieu n’est pas. Et le drame souvent, c’est que ceux qui combattent Dieu combattent plutôt des représentations de Dieu.
En fait, si on dit qu’on ne peut pas s’approprier Dieu, que personne ne peut se l’approprier, c’est parce qu’il est toujours au-delà de ce qu’on pourrait en dire.
Mais il y a une autre réponse, c’est à travers la figure de Jésus qu’on découvre Dieu parce qu’il en parle constamment dans ses paraboles. Dans ses paraboles, c’est toujours Dieu qui est mis en scène.
Et je me réfère à ce que Jésus en dit d’après ce que les Evangiles nous rapportent.
Et aussi ce qui me marque le plus c’est que le Dieu de Jésus s’est identifié aux plus méprisés des humains. Il faut relire Mathieu au chapitre 25 : « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait… »

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