Un dialogue constructif entre les sans-voix et les sans-oreilles

Publié le 09/02/2011

Par Christian Saint-Sernin, Groupe de Paris

Pas de démocratie sans participation des personnes en difficulté ! Construire avec des personnes ayant souffert de l’exclusion le « changement de comportement » proposé par le Pacte.
A l’automne 2008, l’atelier 6 du Pacte civique s’est fixé un triple objectif :
– réfléchir aux conditions qui doivent permettre aux personnes en situation d’exclusion ou de précarité de s’exprimer et de participer à la co-construction des politiques qui les concernent, après avoir analysé les blocages
– permettre à ces personnes et à des associations qui les soutiennent de s’exprimer sur ce qu’ils attendent aujourd’hui d’une société démocratique et sur l’ensemble des propositions du Pacte civique
– examiner l’impact des situations d’exclusion sur la manière de vivre la citoyenneté à travers un croisement des savoirs.


Depuis lors, des représentants d’ATD-Quart Monde, du Mouvement national des chômeurs et des précaires (MNCP), de Solidarité Nouvelle face au Chômage (SNC), de l’Agence Nouvelle des Solidarités Actives (ANSA), du Secours Catholique, de la Fondation Hourdin, de La Vie Nouvelle et de Démocratie & Spiritualité se sont réunis une dizaine de fois avec des personnes qui venaient de vivre en très grande précarité, pour rédiger deux fiches.

Ce travail a commencé et fini par des rencontres avec des militants de base d’ATD-Quart Monde : le 18 novembre 2008 une Université Populaire a rassemblé à Paris, après une préparation en mini groupes, une centaine de personnes, la plupart en grandes difficultés : avec des exemples précis et avec leurs mots, elles ont pu dire ce qu’était pour elles la citoyenneté :

– être citoyen, c’est avoir des droits et les faire respecter
– on est citoyen quand on est libre
– on est citoyen quand on est utile et que l’on aide les autres.

Et en mars 2009, le travail de rédaction des deux fiches a été soumis à l’examen d’un groupe de base d’ATD-Quart Monde qui, lors d’une rencontre finale, a permis d’ultimes correctifs.

Entre temps, Charles Mérigot, qui a longtemps vécu au chômage1, a évoqué ses difficiles dialogues avec les gens en place, avec l’envie de retourner le questionnement : « Et toi qui me questionnes, pourquoi me questionnes-tu ? … Et comment mes paroles vont-elles être retraduites ? Ne vais-je pas m’enfermer dans une image et au final en rajouter sur ma stigmatisation ? Et que répondre quand on se sent soumis à une attitude inquisitoriale : « Tu dois faire comme je te le dis parce que le fait que je suis à ma place et toi à la tienne prouve largement que j’ai raison ».

La juste attitude ne consisterait-elle pas à proposer non que les personnes aidées « s’insèrent » dans « la société » (jamais définie clairement mais en fait toujours celle des gens en place) mais plutôt à ce que tous ensemble, nous tentions de construire une société autre ?
Nous avons aussi travaillé avec des experts : Luc Jerabek, de l’ANSA, a expliqué à quel point il était difficile de faire respecter la clause de la loi sur le RSA réservant aux bénéficiaires une place dans l’évaluation et la gestion de cette prestation.

Thibaut Guilluy , Directeur d’une entreprise d’insertion, l’ARES, résumait ainsi son travail : « Le maître mot, c’est la « confiance », une confiance perdue à restaurer, une confiance de l’entreprise proposée aux salariés, et en retour, dans la mesure où une véritable « reconnaissance » s’effectue, une confiance retrouvée dans le personnel encadrant… et, au final, une « confiance en soi » restaurée…

L’entreprise est un lieu de socialisation et de réapprentissage de la prise de parole. Il est important d’offrir un cadre bien aménagé, tantôt collectif, avec plusieurs types de réunion, et tantôt individuel, en choisissant le bon moment, jamais à chaud, et en évitant les agressions, mais il est très important que puisse se dire « ce qui ne va pas » ! Les réunions sont donc un élément de la réinsertion, mais aussi les temps de pause, de formation et de débriefing.

Charles Rojzman, psycho-sociologue, soigne la violence aussi bien dans nos Banlieues qu’en Tchétchénie, par une thérapie sociale. Non point que les personnes en situation d’exclusion soient des « malades » (l’exclusion n’est pas une « maladie »), mais notre société et ses institutions sont malades, car elles génèrent de la violence avec ses trois séquelles : la délinquance, la victimisation ou la dépression. Par des actions très locales, il est possible de casser les clivages institutionnels et sociaux en rassemblant des jeunes ou des usagers et des « agents » de police ou de services sociaux autour de mini opérations « neutres » qui cassent les procès d’intention ; alors peuvent s’exprimer les haines, mais dans un cadre bien protégé qui permet de passer outre et de coopérer en occupant des places de partenaires qui changent totalement les relations, les regards et les comportements.

Quand on amène des gens qui se détestent ou qui s’ignorent à coopérer sur des mini actions, cela a un effet d’entraînement sur le quartier ou sur l’environnement institutionnel, mais aussi sur les participants eux-mêmes… Les plus récalcitrants sont les cadres supérieurs et les responsables des institutions !

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