Un choix : l’agriculture raisonnée : Une exploitation d’aujourd’hui : 150 ha en plaine

Publié le 01/06/2010

Interview de Xavier Hay, Groupe de Caen
Par François Leclercq

Xavier Hay est céréalier dans la plaine de Caen.
Cultures : céréales, lin, pommes de terre, betteraves sucrières, colza.
Pour Xavier, la culture française se trouve à la fin d’un cycle. Le coup de gong sera la renégociation de la PAC en 2013, qui devrait supprimer les aides.


Pour résumer l’histoire de l’agriculture depuis la guerre, rappelons que la priorité a d’abord été d’atteindre les chiffres les plus élevés de production : le challenge était de nourrir la population et d’exporter.
Mais dès le milieu des années 70, l’agriculture connaît la surproduction, la constitution de stocks.

Cela a conduit, à partir de 1980, à la mise en place d’une politique européenne pour contrôler la production.

Ainsi jusqu’en 1992, les prix agricoles étaient subventionnés, ce qui poussait les agriculteurs à produire en excès. L’Europe réintroduit la production sur le marché mondial avec un prix bas pour les agriculteurs, mais compense cette baisse par une prime d’aide au revenu.

Cette prime est alors dénoncée en 2000 par l’OMC, qui la considère comme un élément de concurrence déloyale.

L’Europe s’oriente donc actuellement vers une agriculture libérale, confrontée aux lois du marché en diminuant très fortement toute régulation.

CIT : Est-ce que les agriculteurs utilisent moins d’intrants en 2010 ?
Est-ce qu’on a en 2010 une culture plus respectueuse de l’environnement ?

Il est indéniable que les intrants ont baissé depuis trente ans. Dans les années 70, les agriculteurs étaient moins formés, ils subissaient le mythe de la production poussée au maximum, le mythe du progrès. Ces produits finissaient par revenir cher.
Il y a eu une prise de conscience : on a utilisé moins d’intrants et on a opté pour des produits moins dangereux, même si les écologistes disent que ce n’est pas encore assez.
Pour ma part, j’ai diminué, mais je ne peux aller plus loin, à moins de me lancer dans un système de culture biologique, assez difficile à mettre en place.
Pour la pomme de terre, il y a un cahier des charges qui nous est imposé par la grande distribution. Il y a des produits qu’on s’est interdits. On ne déclenche le traitement que s’il y a maladie. C’est ce qu’on appelle l’agriculture « raisonnée ». On n’applique pas systématiquement, à l’avance, comme on le faisait partout jusque dans les années 90.
Et comme font encore aujourd’hui les moins informés ou ceux qui restent sous la coupe du commercial qui a intérêt à vendre ses produits et qui leur dit : « écoute, vaudrait mieux que tu mettes tel ou tel produit parce qu’il y a quand même un risque ».

CIT : Quelles sont ces catégories de produits dont tu as réduit l’emploi ?

Les anti-maladies, les anti-mauvaises herbes et les produits contre les insectes bien que ce soient des produits autorisés par l’État.
Par rapport au cultivateur dont j’ai repris la ferme en 1998, j’en utilise moitié moins. Et la plupart des agriculteurs utilisent beaucoup moins que la dose homologuée, mais principalement par souci économique, il faut en convenir.
Ils le font par tâtonnement, aidés par les essais que mènent les Chambres d’agriculture.
Par exemple, pour le blé, s’il y a un printemps humide, il y a un fort risque de maladie. En revanche, si le printemps est sec, il est inutile de traiter.

CIT : Et en ce qui concerne les engrais ?

Pour moi, les engrais, c’est un problème beaucoup plus facile à régler que les pesticides. Les nitrates font très peur, mais c’est surtout une question d’excès qu’on peut éviter facilement. Il suffit de doser ses engrais et il y aura très peu de pollution.
Il existe une « directive nitrates » qui va être appliquée cette année. Elle demande qu’on procède à une analyse du sol, pour ne rajouter que ce dont le sol a besoin, alors qu’auparavant, les cultivateurs mettaient systématiquement toujours la même dose.
Autre procédé : après la récolte, au cas où on aurait mis trop d’azote, on sème un couvert végétal qui a pour vocation de pomper l’excédent d’azote et d’éviter que cet excédent n’atteigne les nappes phréatiques.
De plus il existe des méthodes pour mesurer l’azote dans la plante (méthode JUBIL ou M testeur) et selon sa concentration, on remet de l’engrais ou en n’en remet pas. Cette mesure s’effectue en avril, juste avant la grosse pousse du blé.
Enfin, il existe une société française qui photographie le sol et donne une image satellite de la culture, et en fonction de la couleur plus ou moins verte on peut dire si cette culture a besoin de tant d’azote.

CIT : Et dans l’avenir, comment vas-tu évoluer ?

Aujourd’hui je cultive 150 ha. Mon prédécesseur en avait 80 ha. Il fallait que j’augmente ma surface pour rester rentable. En 2013, on va perdre les aides financières que nous avons actuellement, je serai peut-être obligé d’augmenter la surface de mon exploitation, de redessiner les parcelles pour qu’elle soient plus grandes, d’employer moins de personnel (j’emploie un ouvrier et après son départ, j’étudie l’hypothèse de ne pas en rembaucher).
L’autre solution est de me lancer dans d’autres activités économiques. Là, je démarre un projet de production d’électricité par des panneaux photovoltaïques sur les bâtiments. Je monte des garages pour les caravanes et les camping-cars.
Aujourd’hui il y a deux débats. Le premier se joue entre les céréaliers et les éleveurs. Et les éleveurs ont plutôt gagné et obtenu quelques aides supplémentaires.
Le second débat, c’est entre les 27 pays européens. Les aides ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Les Polonais ou les Bulgares disent : « comment se fait-il que vous, les Français, vous bénéficiez de tel niveau d’aide, que nous n’avons pas ? »

CIT : Concrètement, de combien l’aide publique a-t-elle diminué ?

Je perds 80 € par hectare donc au total je perds 10 000 € par an. L’aide passe de 60 000 € par an à 50 000 €.

CIT : Et ton revenu ?

Mon revenu est de 30 000 € par an en moyenne, mais il connaît d’importantes variations. Le prix du blé, autour des années 2000 par exemple, était de 100 € la tonne. Il est monté en 2007 à 200 € et même 250 €, pour redescendre à 100 €.

CIT : Est-ce qu’il est envisageable d’adopter la culture bio ?

Si toute l’agriculture française passe au bio, on aura des problèmes de faim en France. C’est 50 % de diminution de la production d’un seul coup ! Donc une obligation d’acheter des produits agricoles à l’étranger, qui sont moins bien suivis, moins certifiés au niveau sanitaire. Ce passage signifierait une augmentation des prix, donc une augmentation de la part alimentation dans le budget des ménages et je ne sens pas aujourd’hui l’ensemble de la population prête à faire ce sacrifice.

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